Il manquait la preuve définitive de ce que l’on tenait soigneusement caché depuis toujours, c’est-à-dire depuis la chute de Napoléon. Il ne fallait surtout pas dire ou écrire ce que résume cette phrase : Messieurs les Anglais, c’est bien vous qui avez « tiré les premiers ».
Cette preuve, la voici. Elle se présente sous la forme d’une lettre entièrement de la main, rarissime donc, du souverain anglais de l’époque, George III1, et elle confirme ce que les – vrais – napoléoniens, ceux dont Thierry Lentz, avec ce ton condescendant qui lui est propre, dit qu’ils sont des « nostalgiques » (cela ne risque pas de lui arriver) savaient ou devinaient depuis longtemps : ce sont bien les Anglais qui ont déclenché les hostilités contre la France de Napoléon. Quelle triste nouvelle !
La preuve, « malheureusement », est irréfutable, qui vient d’être apportée par cette lettre apparue sur le site de la chaîne américaine d’information en continu « Fox News2 » à la suite de la vente aux enchères de ce document, à Cambridge, le 10 janvier dernier. Dans ce document daté du 14 mai 1803 3, le souverain anglais déclare tout bonnement la guerre à la France de celui qui est encore le Premier Consul Bonaparte. George III écrit : « The King has perused the dispatch and private letter from Lord Whitworth and the Enclosures with as much rapidity as possible to return them to Lord Hawkesbury; the conduct of France has been equally unfair to the last and though conscious of the Evils that must be entailed on many Countries by the renewal of War, yet the conviction that by the restless disposition of the Ruler of France this event could not long have been kept off, it seems necessary to attend alone to the best modes of repelling the violence with effect, and the attacking those objects which our present means render attainable. The King will remain in Town to execute any Steps that the present moment may require. George R. ».
Le cynisme éhonté de George III
Quand on connaît toutes les concessions faites par le Premier Consul pour obtenir ce traité indispensable à la paix qu’il voulait voir s’établir en Europe, on ne peut qu’être révolté, et en même temps incrédule, devant le cynisme éhonté et la mauvaise foi du souverain britannique, et a fortiori, de son Premier Ministre, dont il ne fait que retranscrire la parole. Un sacré coup dur pour les détracteurs compulsifs de Napoléon – ce qui fait vraiment beaucoup de monde4 !
Que représente cette lettre ? Charles Ashton, directeur de la salle où a été vendu le document, répond : « Cette lettre est un moment décisif de l’histoire, qui dévoile l’intention du roi de déclarer la guerre à la France et à Napoléon. Alors que les relations entre la France et la Grande-Bretagne s’étaient détendues depuis le traité d’Amiens en mars 1802, cette lettre marque la fin des négociations de paix, et renferme les instructions sans équivoque du roi pour entrer en guerre ».
Un acte de piraterie
Et, en guise de travaux pratiques : « Sa Majesté ordonne en outre qu’il sera mis un embargo général ou arrêt sur tous les bâtiments appartenant aux républiques française et batave, quels qu’ils soient, qui se trouvent présentement ou qui pourront venir dans les ports, havres ou rades du Royaume-Uni…, ainsi que sur les personnes et marchandises trouvées à bord des dits bâtiments… ».
Cela s’appelle un acte de piraterie ! Imaginons l’inverse ! Cette information, qui a dû jeter le trouble au QG de la Fondation, a été portée à ma connaissance par notre ami Loïck. Si cette vente me fut effectivement une surprise, le contenu de la lettre, lui, m’était familier depuis longtemps : il figure en effet mot pour mot dans mon manuscrit « Petit Dictionnaire des Gros Mensonges sur Napoléon », bloqué sur intervention, alors qu’il était en cours de fabrication aux éditions Plon5. Je me demande encore bien pourquoi…
Ne soyons pas beaux joueurs, ils sont trop arrogants et de mauvaise foi. La lettre du souverain britannique a été vendue 11 430 livres, soit 12 800 €. Quand on connaît les prix atteints par le moindre document décoré de la célèbre griffe « N », c’est dérisoire. À côté de celui à qui il a déclaré la guerre – et pas n’importe quelle guerre puisqu’elle durera 11 années – le roi d’Angleterre, qui paiera les autres monarchies pour se battre à la place de son pays, est une « étoile » de piètre grandeur. Imaginez le prix qu’atteindrait la lettre du 2 janvier 1805 par laquelle Napoléon offrait, lui, la paix à l’ennemi héréditaire !
Remise en cause des 200 ans de désinformation ?
Sans être pessimiste, je doute fort que la révélation de la lettre de George III, cet aveu tardivement dévoilé, remette en cause – ce serait dommage ! – les quelque deux cents ans de cette malhonnêteté insigne, de cette écœurante désinformation qui ont sali l’histoire du Premier Empire, sans que personne ne s’y oppose, y compris et surtout ceux à qui, un jour, l’industriel Martial Lapeyre a donné tous les moyens matériels et financiers pour, sinon encenser, du moins rendre justice à l’homme Napoléon. Mais surtout pas pour l’avilir !
La publication de cette lettre me donne l’occasion de reproduire une fois de plus la conclusion de ma réponse à ce journaliste anglais du « Telegraph », Dan Snow, qui attaquait grossièrement le « dictateur brutal et impitoyable » : « C’est vous, ministres conservateurs du gouvernement Pitt et successeurs, qui, en rompant délibérément la paix d’Amiens au mois de mai 1803, et en dédaignant les offres de paix que Napoléon vous a faites aussitôt monté sur le trône, êtes les premiers responsables de ces morts et de ces blessés de toutes nationalités qui ont endeuillé les années 1804-1815, et il faut que vous ayez encore bien des choses sordides à dissimuler pour continuer de vous acharner ainsi contre un homme que vous n’avez jamais cessé d’insulter, de harceler, tout en poussant les autres à faire la guerre à votre place ».
Ce document est essentiel pour la mémoire de Napoléon. Mais il ne faut compter, ni sur nos amis historiens bien connus, ni sur leurs meilleurs serviteurs, les journalistes « embedded » pour le faire connaître. À nous donc de le faire suivre par tous les moyens à notre disposition pour lui offrir l’audience la plus large possible. Vous le devez, nous le devons à la mémoire de l’Empereur. Merci à tous.
Notes
1–1738-1820. Il régna de 1760 jusqu’à son décès.
2- Accessible à 85 millions de ménages américains, elle est la chaîne d’information câblée la plus regardée aux États-Unis devant ses concurrentes CNN et MSNBC.
3- J’ai laissé le texte dans sa version originale pour ne pas être taxé d’avoir « arrangé » le sens du document. Il se traduit aisément.
4- Les lecteurs – anglais – de la presse britannique ont beaucoup de mal, pour ne pas dire davantage, à « digérer » ce coup du sort. Leurs arguments, influencés par les tourments que leur cause le Brexit, sont franchement pathétiques de ridicule et, comme leur souverain de l’époque, de mauvaise foi.
5- J’ai gardé les deux projets de couverture, dont celui que j’avais accepté, en souvenir de la malfaisance qui règne sur l’histoire du Premier Empire.