Foin du culte de la personnalité ! Nous l’appellerons, révérence oblige, « l’Historien napoléonien ». Il y a quelque temps déjà, « l’historien napoléonien », donc, a publié sous son nom un « Dictionnaire Amoureux de Napoléon » dans la collection éponyme d’une grande maison d’édition. On eut l’amabilité de me le prêter.
De savoir que, conséquemment à cette parution, l’auteur avait été invité à une émission de Michel Drucker sur France Télévision, émission très recherchée par les politiciens de tous bords (ce qui fait beaucoup de monde) et par les artistes de toutes disciplines (ce qui fait plus encore de postulants), j’en avais logiquement déduit que je tenais entre les mains un document exceptionnel, qui allait me révéler des faces cachées de notre Napoléon (Cf. sur ce sujet un article très spirituel et mordant de Loïck Bouvier).
Après lecture du compte rendu que ce dernier en avait fait, je m’étais rendu compte que la participation de « l’historien napoléonien » à l’émission « Vivement Dimanche » (ah ! la belle et grande audience !) avait essentiellement pour but de ridiculiser auprès d’un large public « innocent », donc prêt à gober n’importe quoi, cette thèse de l’empoisonnement de Napoléon qui le « chagrine » si fort. Et qu’il ne parvient pas démolir définitivement, en dépit de ses efforts opiniâtres et des complicités médiatiques dont il bénéficie.
De là à en déduire « qu’on » ne l’avait invité (ou qu’il ne s’était invité) que dans ce seul but – le « Dictionnaire Amoureux » servant de prétexte – le pas est vite franchi. Car pour le reste…
DES FAITS NOUVEAUX…
Eh bien, je l’avoue, oui, j’ai découvert des faits nouveaux que je n’eusse jamais soupçonnés. Mais pas dans le sens que j’attendais.
Parodiant une réplique célèbre d’un film qui ne l’est pas moins, je dirai, c’est du brutal : c’est de l’intime.
Dans une version numérique de l’Encyclopædia Britannica, nous avions déjà eu droit à une citation – il s’agit, ne l’oublions pas, d’un travail d’historien – sur la chute de reins de l’Impératrice Joséphine, qui avait « le plus joli petit c.. du monde » (les points de suspension me sont personnels).
Dans le contexte d’une conversation privée, Napoléon, qui n’avait pas sa langue dans sa poche et connaissait par cœur le verbe des bivouacs, a peut-être, sans doute, émis ce « jugement de valeur ».
Nous entendons aujourd’hui bien pire, mais ne se pouvait-il trouver une périphrase qui eût dit la même chose de manière plus policée, car il s’agit tout de même – je sais, c’est indécent, mais j’ose – du plus grand homme de notre histoire ? Je pense que l’on peut alors s’autoriser à prendre quelques précautions lorsque l’on cite ses paroles.
N’est-il pas toujours de « bonne guerre » (!) de faire passer Napoléon pour un rustre ?
Il y a mieux, si j’ose écrire.
L’auteur évoque les femmes, et voici ce que l’on peut lire dans ledit « Dictionnaire Amoureux » :
Peut-on trouver un point commun à toutes ses conquêtes ? Il semble que Napoléon n’ait pas un type de femme précis en tête. Il aime les femmes un peu sculpturales (la Grassini, Mlle Georges), mais ce n’est pas le cas de Joséphine. Il est très cérébral [!], prenant plaisir à enlever sa maîtresse à l’un de ses ministres, son épouse à un autre…
Déjà rustre de langage, le voici pervers, ce qui ne saurait étonner. « Secrets d’Histoire » de France 2 ne nous l’avait-il pas montré également violeur ?
Nous apprenons ensuite – c’est haletant – que l’Empereur « traîne peu au lit, le manque de temps pouvant excuser cette rapidité. »
Immédiatement après, notre « Historien Napoléonien » s’intéresse – de très près – à l’anatomie de celui dont il s’est fait le spécialiste « incontesté », et voici ce que cela donne :
Il est peu membré, si l’on en croit son autopsie à Sainte-Hélène.
Un adjectif qui me remet en mémoire un texte particulièrement répugnant publié sur le blog du sinistre Claude Ribbe à la date du 8 octobre 2010.
Poursuivons notre exploration voyeuriste :
Mme Duchâtel [l’une de ses passades] nous éclaire davantage sur ses performances. Elle aurait éclaté de rire après avoir couché avec Napoléon : “Et l’Impératrice qui dit que vous n’êtes bon à rien, que c’est comme de la p….e”.
Je revendique une fois encore les guillemets, car je me refuse à retranscrire le mot.
LA FLATTERIE DU MILIEU
Heureusement, s’extasie le critique littéraire de « L’Express », François Busnel, « [l’historien napoléonien] est drôle, vif, sérieux et bon conteur. »
Cette avalanche d’adjectifs flatteurs me remet en mémoire la critique (sic) par celui qui n’était pas encore directeur de la Fondation Napoléon d’un ouvrage de notre « historien napoléonien » :
« On connaît la patte du « maître » : il nous emmène au cœur du sujet et les documents ne sont retenus que lorsqu’ils sont parlants. Ici, on ne sera pas déçu : ce qu’il y a d’essentiel à l’angle choisi, notamment dans la correspondance de Rouget, vient soutenir un propos comme toujours alerte, instructif et, bien sûr, agrémenté de cet humour discret qui est un des charmes de l’auteur. [L’historien napoléonien] nous donne une fois encore un ouvrage irremplaçable… » (Revue du Souvenir Napoléonien, n° 428).
Le monument en question n’était pas vraiment en proportion du dithyrambe : 104 pages sur les rapports entre Napoléon et Rouget de l’Isle.
Un bel avenir se dessinait.
DES QUESTIONS À SE POSER
Après l’énoncé de ces citations crapoteuses, une question s’impose naturellement : Louis XVIII – ou le détestable Charles X – eût-il été gratifié d’un traitement identique ?
Bien évidemment que non.
Autre interrogation légitime : quel est l’intérêt historique – réel – de nous informer que l’Empereur était peu « membré », et que ce n’était pas de la « p….e » ?
Je ne vois pas, si ce n’est que, derrière ces citations, on pourrait discerner une volonté délibérée, mais adroitement dissimulée sous le caractère « docte » de l’ouvrage en question, d’humilier cet Empereur auquel « l’Historien Napoléonien » est venu par hasard, et qui, dans une interview donnée au site www.herodote.net, confesse avoir comme « seules vraies passions le cinéma et le roman policier ».
« L’Historien Napoléonien » a été directeur de l’Institut Napoléon.
Il existe un Institut Charles de Gaulle. Peut-on, un seul instant, imaginer que son directeur, actuel ou passé, eût osé parler du général et de Mme de Gaulle en termes aussi sordides, aussi dégradants ?
La réponse va de soi.
Alors, de quel droit « l’historien napoléonien » se permet-il d’en user envers Napoléon et l’Impératrice Joséphine ?
Parce qu’il serait, comme l’écrit le critique de l’Express, « drôle, vif, sérieux et bon conteur » ?
Est-ce bien suffisant ?
Ici aussi, la réponse va de soi.