J’accuse la fondation Napoléon… (Ep.2)

Toujours péremptoire, Jean Tulard affirme qu’il ne voyait pas l’intérêt de supprimer un personnage qui n’était plus une menace pour personne (ceci figure dans le premier numéro que Science & Vie, acteur de la désinformation, avait consacré à cette affaire) : « À qui aurait profité le crime ? Napoléon ne représentait à l’époque guère plus de menace, ni pour les Anglais, ni pour la monarchie française. »

Son obligé, Thierry Lentz, bien sûr, acquiesce : « Avant sa mort, on est en pleine légende noire de Napoléon [c’est lui qui le dit]. Plus personne ne voulait de lui [c’est toujours lui qui le dit]. Alors, pourquoi le faire disparaître ? »

D’ailleurs, Il est impossible que l’Empereur ait été empoisonné. Pourquoi ? Suivons encore une fois notre directeur-guide : Selon lui, la déportation (ce vilain mot est de moi, évidemment) de Napoléon à Sainte-Hélène est « un des moments les plus documentés de l’Histoire » grâce à la multiplicité des archives françaises et anglaises. Et voici sa conclusion : « Dans toute cette documentation, on n’a pas un commencement de preuve d’une tentative d’assassinat et notamment pas d’empoisonnement. »

Il tombe effectivement sous le sens commun que quiconque envisage de faire un mauvais coup, qui plus est contre ce personnage hors du commun qu’est Napoléon, en fait préalablement la déclaration en bonne et due forme. Et par écrit, de préférence.

Cela me remet en mémoire l’exigence toute simple, peu de chose en vérité, formulée par lui lors d’une conférence à Strasbourg : que lui faudrait-il donc pour qu’il accepte la thèse de l’empoisonnement de l’Empereur ?

« Que l’on m’apporte une lettre de Montholon [ou un autre, qu’importe !] disant : “J’ai assassiné Napoléon”, et je le croirai. »

Est-ce bien certain ? Qui sait s’il n’irait pas faire la tournée de certains médias accueillants, en s’interrogeant gravement sur l’authenticité du document ?

La rumeur, vecteur « d’information »

Après avoir bu ces paroles en se disant : « Bon sang, mais c’est bien sûr » (ça, c’est pour les cinéphiles), peut-être eût-il été bon que le grand public, souvent tenu pour un manant culturel par les détenteurs supposés du savoir, eût connaissance des deux citations reproduites ci-dessous. Elles n’appartiennent pas à ceux que les détracteurs daubent impitoyablement en les faisant passer pour des simplets conspirationnistes, mais de deux grandes personnalités de l’époque. Tout d’abord, le duc de Richelieu, Premier ministre de Louis XVIII :

« Ce rocher de Sainte-Hélène est un point sur lequel nous devons toujours avoir une lunette braquée. On a beau dire qu’il [Napoléon] a perdu tout crédit en France ; je veux le croire, mais je ne serais bien aise que nous en fissions l’épreuve. »

Puis, celle d’un homme plus connu comme l’auteur des inoubliables Mémoires d’outre-tombe que comme ministre (des Relations extérieures), François-René de Chateaubriand :

« Si Napoléon, échappé aux mains de ses geôliers, se retirait aux États-Unis, ses regards attachés sur l’Océan suffiraient pour troubler les peuples de l’ancien monde. Sa seule présence sur le rivage américain de l’Atlantique forcerait l’Europe à camper sur le rivage opposé. »

Le duc de Richelieu et le vicomte de Chateaubriand

N’oublions pas non plus qu’en ces temps de désert médiatique, les « nouvelles » étaient véhiculées par la rumeur, fût-elle la plus extravagante. Si l’on avait fait courir le bruit que Napoléon s’était jeté à l’eau pour regagner l’Europe à la nage, personne n’en eût douté, et l’alerte eût été donnée sur les côtes de France et d’Angleterre. Sauve qui peut ! Le tyran revient pour reprendre son trône !

La rumeur, entre autres, c’est cela : lorsqu’elle l’avait rencontré pour la première fois, la petite Betsy Balcombe, fille du représentant de la compagnie anglaise des Indes Orientales à Sainte-Hélène, avait été très étonnée et rassurée de constater que Napoléon n’avait pas, au milieu du front, cet œil unique trahissant le cyclope dont la propagande anglaise l’avait affublé.

Une médiatisation inespérée

Cette « affaire du poison » comprendre : l’empoisonnement de Napoléon tient particulièrement à cœur à Thierry Lentz, gardien du « Temple » de la Napoléonie. Et il y tient tellement qu’il s’est exprimé à de nombreuses reprises sur le sujet avec un mépris, une hargne si exemplaire et si constante qu’elle force le respect (ou le dégoût).

Cet article de « Géo » en est une illustration supplémentaire. Cela posé, j’ai eu l’impression que, lors de cette interview, notre ami était en petite forme, ce qui ne lui guère habituel lorsqu’il s’exprime sur son idée fixe. Peut-être est-ce dû au fait que, question place, le magazine ne se soit guère montré généreux, une parcimonie qui nous a privés de ses envolées grandiloquentes, mais d’une indigence scientifique rare, qui devrait l’inciter à plus de discrétion et, surtout, de modestie, qui n’est pas sa vertu cardinale. Ainsi, n’ai-je pas retrouvé l’un de ses emportements magnifiques, dont la citation qui suit est un exemple éloquent :

« Ridicule, clame Thierry Lentz [il répondait à un journaliste du quotidien « Les Échos »], historien et directeur de la Fondation Napoléon. Le Suédois et le Canadien “ont fini par donner à leurs élucubrations peintes aux couleurs de la science un écho tel que la rumeur d’empoisonnement est devenue une sorte de lieu commun […]. Nous devons les rejeter sans appel à la lumière des éléments historiques” ».

« Élucubrations peintes aux couleurs de la science » ; le « Canadien » (c’est Ben Weider, président-fondateur de la Société napoléonienne internationale de Montréal), et le « Suédois », c’est Sten Forshufvud, l’initiateur « maléfique », dont la « lecture abusive des Mémoires du valet de chambre de Napoléon » a marqué le début des cette thèse qui cause tant de tourments à notre plus constant adversaire.

En revanche, elle lui assure à bon compte une médiatisation inespérée qu’il n’aurait jamais obtenue sans cela. Qui, avant cette affaire, connaissait Thierry Lentz ? Et il ne dit même pas merci.. : Goujat un jour, goujat toujours ! Rien de surprenant au fond.

Que peut-on attendre d’un personnage qui, pour massacrer un peu plus, et avec sa vulgarité ordinaire, la thèse de l’empoisonnement de Napoléon, appelle la crise du… Covid à sa rescousse dans son petit torchon baptisé « Le Ronchon du Vendredi » (le Ronchon, c’est lui, sur facebook). C’est dire son désarroi :

« Les idées pratiques du Ronchon », « Stockez des livres plutôt que du PQ. Certains romans et essais (par exemple sur l’empoisonnement de Napoléon) peuvent faire double emploi. » (Fin de citation)

Ce crachat au visage de Ben Weider, mais également à celui des scientifiques qui ont travaillé sur cette affaire, est lâche et abject. Répugnant. Intolérable. Pauvre Napoléon, il n’a pas mérité cette boue ! Évidemment, on pourra toujours m’objecter que la toxicologie n’est pas son métier. Selon une formule populaire bien connue, le béton (comme le journalisme) « mène à tout à condition d’en sortir ». Est-ce suffisant pour justifier des propos orduriers ?

En effet, juriste de formation, Thierry Lentz a exercé dans un département du groupe Bouygues, avant d’être parachuté sans préavis, en 2000, dans le fauteuil directorial de la Fondation Napoléon (il faut croire que la France n’avait plus d’historiens du Premier Empire !), ce qui devrait être une raison supplémentaire pour respecter ceux dont, justement, c’est le métier, comme les Pascal Kintz et autres Robert Wennig qui ont conduit et réalisé les analyses.

Professeur Pascal Kintz un des experts en toxicologie les + réputés au Monde.

Biographie du Professeur Pascal Kintz : Docteur en Pharmacie (PharmD, 1985), Docteur en Sciences, mention Toxicologie (PhD, 1989), Habilité à diriger les recherches (1992), Nommé Expert Judiciaire près la CA de Colmar en 1992, Expert Judiciaire agréé par la Cour de Cassation en 2007, Maître de Conférences – Praticien Hospitalier à l’Institut de Médecine Légale de Strasbourg (1987-2004), Directeur scientifique de ChemTox (2005-2010), Professeur conventionné de l’UNISTRA, Président de la Société Française de Toxicologie Analytique (SFTA, 1997-2003), Président de l’Association Internationale des Toxicologues de médecine légale (TIAFT, 2005-2008), Président de la Society of Hair Testing (SoHT, 2008-2012), Président du Conseil Scientifique de la SFTA (2006-2015), lauréat du Syndicat des biologistes (1998), du TIAFT (2001 & 2015), de la SFTA (2003) et de l’IATDMCT (2011).

Biographie du Professeur Robert Wennig : toxicologue médico-légal et chef du département de toxicologie au Laboratoire National de Santé à Luxembourg à la retraite ainsi que professeur associé de chimie organique et de biochimie à l’Université du Luxembourg. Auteur de plus de 250 publications scientifiques ainsi que de chapitres de livres ou encyclopédies, Robert Wennig a donné plus de 450 conférences, communications orales ou affichées à des congrès ou à des universités.

Ces deux noms, nous les avons souvent cités, ici, lorsque nous évoquions la saga de cette lutte de la Fondation contre cette thèse de l’empoisonnement, dont le Carré a publié les péripéties, lutte, qui, malgré une débauche (c’est bien le mot) de moyens (la Fondation est richissime et a un, disons pudiquement « surprenant », soutien inconditionnel de la grande presse), a débouché sur un fiasco retentissant. J’allais écrire humiliant ; soyons humain !

En effet, si la manœuvre a très bien fonctionné auprès de certains journalistes qui se sont faits les hérauts actifs (en échange de quoi ?) de « l’anti thèse », il en va autrement avec un public plus érudit sur le plan scientifique, les médecins, notamment.

Pour l’anecdote, aucun des nombreux journalistes qui ont écrit sur ce sujet n’a eu l’idée, élémentaire dans ce métier, de me contacter pour connaître « l’envers du décor ». J’ai même écrit à deux d’entre eux à titre personnel pour leur expliquer que la thèse de l’empoisonnement de Napoléon n’était pas la caricature qu’ils en faisaient, et qu’il y avait bien d’autres choses sérieuses ! à en dire. Aucun ne m’a répondu. Je suis pourtant, ce n’est pas une hypertrophie de mon ego, c’est juste un fait, le seul qui connaisse parfaitement ce dossier.

À ce moment, j’ai compris qu’ils ne recherchaient pas la vérité, ni même, simplement, à exposer les arguments des deux parties. Ils étaient en mission, et ils ne faisaient que retranscrire les arguments mensongers de la Fondation Napoléon et de son directeur. De simples porte-voix.

Une question : accepteriez-vous le verdict d’un Tribunal ou d’une Cour, dont le président n’aurait donné la parole qu’à l’accusation ou à la défense ?

Vous hurleriez à la forfaiture, et vous auriez raison. C’est exactement ce qui s’est passé dans l’affaire évoquée ici. La coterie de la Fondation, et en particulier, son directeur, a toujours présenté cette thèse d’un empoisonnement criminel de Napoléon comme le fruit du délire d’un individu, Ben Weider en l’occurrence, « qui échafaude des intrigues politico-romanesques censées expliquer le meurtre de Napoléon ».

Parfois, il m’arrive de relire tous les dossiers que nous avons préparés et publiés sur le site de la Société Napoléonienne Internationale de Montréal (SNI). Et lorsque je (re)prends connaissance de la haute tenue scientifique des analyses effectuées par les personnalités indiscutables nommées dans le cours du texte, lorsque je les compare aux arguments malséants et minables avec lesquels Thierry Lentz et autres tentent de les discréditer avec – et cela est très grave – la complicité active de certains journalistes – et lorsque je me souviens enfin de l’implication enthousiaste et désintéressée de mon ami Ben et des sarcasmes dont il a été gratifié, un seul mot me vient à l’esprit : écœurant.

J’aurais honte de tenir pareille conduite. Mépris épais, mépris gluant, mépris hargneux envers un homme de bien, admirateur sincère et dévoué de Napoléon. Pas un commercial vendant un « produit ».

Cas d’école de désinformation

Comment un pays comme la France, qui se targue (mais de moins en moins) de prôner – cela ne coûte rien, et c’est dans la « mouvance » de l’époque – la liberté d’expression, peut-il tolérer que se perpétuent cette honteuse « loi du silence », ces mensonges institutionnalisés et imposés, et ce bourrage de crâne éhonté ?

Il s’agit là d’un « exemplaire » et scandaleux cas d’école qui montre un petit groupe de personnages sans scrupules (historiques), regroupés au sein d’une « institution » sans autre pouvoir que celui qu’elle s’octroie, faire main basse sur la plus flamboyante période de l’histoire de la France, et sur son plus illustre souverain, et « clouer le bec » à ceux qui refusent d’entrer dans leur jeu.

Ils se sont mis la presse dans la poche grâce à… (je n’ai pas le détail), sinon comment expliquer que le représentant de la SNI que j’étais n’a jamais eu la parole pour expliquer cette thèse ?

Étouffement garanti.

Le grand public n’a même pas la possibilité d’avoir accès à une autre version, afin de se faire sa propre opinion sur le cas. Il n’a d’autre droit que de boire les paroles saintes jusqu’à la lie. Les émissions de télévision proposées en sont une illustration supplémentaire.

Une thèse acceptée… dans le passé

J’ai écrit plus haut le mot de fiasco. Il se justifie pleinement, car la manœuvre de discrédit a échoué auprès d’un public scientifique et sans a priori. Ainsi, tous les médecins que je connais : généralistes, ou spécialistes (cardiologues, angiologues, pneumologues…), au seul nom de Napoléon, m’ont dit spontanément :

« Napoléon ? Mais il a été empoisonné ! »

Des complotistes, pour sûr !

Une de mes relations, docteur(e) en pharmacie, m’a expliqué que, lorsqu’elle faisait ses études à la Faculté, le professeur chargé du cours de toxicologie et de son application en matière criminelle, citait toujours le nom de Napoléon comme exemple d’un empoisonnement à l’arsenic. Cette dame étant maintenant très âgée, son anecdote montre bien qu’à cette époque la parole était libre sur ce sujet.

La bande qui règne aujourd’hui sur l’époque n’avait pas encore lancé et réussi son OPA sur le Premier Empire.

Autre témoignage, celui d’une jeune infirmière avec qui je m’entretenais récemment et qui m’a expliqué que cette théorie de l’empoisonnement de Napoléon ne lui était pas inconnue : elle l’avait découverte pendant ses études.

Alors, toutes les deux, et leurs professeurs respectifs, des empoisonnistes complotistes monsieur le Directeur ?

à suivre…