La Fondation Napoléon m’a toujours laissé perplexe. Voilà une institution qui a été créée grâce au legs de 260 millions de francs consenti, dans les années 80 (donc des francs « lourds »), au Souvenir Napoléonien – ce qui a permis la naissance de la Fondation – par un admirateur passionné de Napoléon, l’industriel Martial Lapeyre.
Son but : faire connaître Napoléon – le vrai – c’est-à-dire l’homme prodigieux dont l’œuvre civile – moins spectaculaire, certes, que ses campagnes militaires – obligées – tira la France de la fange dans laquelle elle croupissait depuis la fin de la Terreur et le foutoir du Directoire, et non le pantin sanguinaire cher aux Anglais et aux royalistes. Une œuvre civile retentissante, qui replaça le pays au premier rang des nations qui comptaient en ce temps, mais le posa en rival de l’Angleterre.
Martial Lapeyre n’a certainement pas accompli ce geste pour permettre à quelques-uns de tenir des propos obscènes sur l’anatomie de l’Empereur (que je ne restitue pas par décence, et respect pour l’homme), pas pour que nous puissions nous « gargariser » de coucheries, pas pour lire qu’il aimait faire la guerre autant que l’amour, pas pour entendre que son génie n’est que « surprise et propagande », ni que sa conception de la guerre ressortissait davantage au poker qu’aux échecs, etc. etc. L’auteur se reconnaîtra aisément si ses petites mains lui font leur rapport.
Donc, un legs pour célébrer un personnage historique hors du commun.
À propos de cette véritable résurrection de la France évoquée plus haut, il me souvient d’une conversation que j’avais eue avec l’une de mes relations personnelles récemment décédée, ancien ministre du président Pompidou, alors que, justement, j’évoquais la grandeur de l’œuvre accomplie. Il me répondit :
« Sa réussite le condamnait à mort à plus ou moins longue échéance ».
On a vu la suite.
Ce furent d’abord les tentatives d’assassinat par des royalistes payés par Londres – avec des « bavures » collatérales comme celle de la rue Saint-Nicaise : une vingtaine de morts et quelque 200 blessés – puis la réitération incessante des coalitions, les désormais célèbres « guerres napoléoniennes », toujours payées par l’or anglais, pour épuiser la France, comme on épuise une bête dans l’affreux folklore de la chasse à courre avant de la « servir » selon le jargon des initiés. En d’autres termes, l’achever à la dague.
C’est ainsi que procéda le gouvernement anglais en faisant harceler la France par ses « veneurs » vénaux autrichiens, russes, prussiens… jusqu’à ce qu’elle fût enfin « servie » le 18 juin 1815 par l’armée anglo-prussienne.
Compte tenu du but poursuivi par le donateur, on ne peut donc qu’être surpris de découvrir, dans l’institution en question, quelques bizarreries.
En premier lieu, la présence de sujets britanniques parmi les employés semble tout de même une gageure. Imagine-t-on Loïck Bouvier ou votre serviteur travaillant dans les bureaux d’une quelconque « Wellington Foundation » à Londres ?
Autre bizarrerie, éminemment choquante déjà dénoncée sur le « Carré » : la remise des prix de la Fondation dans les locaux de l’ambassade du pays qui fut l’ennemi le plus acharné de Napoléon, et donc de la France.
La réconciliation n’implique pas forcément de ramper.
Pire, cet autre sujet, récent, d’indignation : l’hypocrite, mais spectaculaire, manipulation qui a permis – ou qui tente (version optimiste, qui laisse encore de l’espoir) – de déconsidérer « Le Mémorial de Sainte-Hélène » de Las Cases, vu comme un « outil de propagande », au profit d’une version « jivaro » : même pas la moitié de l’œuvre originale : 800 pages sur… les 1 832 des deux volumes de l’édition Flammarion de 1951 (collection « Les Grands Mémoires ») !
À propos de la sortie de ce « digest », on put lire, dans l’hebdomadaire « Valeurs Actuelles », un article dans lequel, au plus haut de sa forme, le « Pape de la Napoléonie » démolissait, dégradait avec sa mesquinerie ordinaire et des arguments lamentables, un des fondements de l’histoire du Premier Empire, jusque-là respecté, fût-ce avec les réserves habituelles à ce genre d’œuvre.
Et dire que certains – nombreux – s’accommodent de cette malfaisance éhontée !
Quant au site lui-même, sa consultation accroît encore la perplexité ressentie : certaines des actions criminelles, au premier sens du mot, du gouvernement anglais sont tout simplement passées sous silence.
Ainsi l’attentat meurtrier de la rue Saint-Nicaise, le 24 décembre 1800, déjà mentionné ailleurs. Par curiosité, cherchez sur le site de la Fondation : « Attentat de la rue Saint-Nicaise ». Que trouverez-vous ?
La date, le lieu, et… la suggestion d’aller « voir l’article de Jean Tulard “Les attentats contre Napoléon” dans la Revue du Souvenir napoléonien, n°391 »(1 – se référer en bas de texte).
Pas facile, le plus ancien numéro dont je dispose étant le n° 389 de juin-juillet… 1993 !
C’est loin, et, de toute façon, le récit de l’attentat lui-même ne figure pas sur le site. !
Revue inaccessible ; site quasi muet sur le sujet. Inutile de chercher l’identité des commanditaires de ce massacre, elle ne figure évidemment pas.
Discrétion assurée.
En fait, la démarche est à la fois prudente et judicieuse – honnête, c’est autre chose, mais c’est pour la « cause » ! – sinon il eût été nécessaire de tout expliquer aux visiteurs du site : les millions de livres répandues pour, d’abord, tenter d’assassiner le Premier Consul, puis, décider l’Autriche et la Russie à entrer en guerre avec la France en 1805.
Le site de la Fondation passe donc bien sous silence l’attentat de la rue Saint-Nicaise. Elle doit considérer qu’il est de peu d’intérêt de parler de la tentative d’assassinat du chef de l’État français par une puissance étrangère, qui, eût-elle réussi, eût bouleversé l’équilibre encore très fragile du pays, et celui de l’Europe de ce temps.
Broutilles, en effet, dont il ne serait pas historiquement correct de parler. Or, de nos jours, il faut toujours être « correct », qu’importe le sujet.
Mais il y a pire « omission ».
Et celle-ci concerne un authentique « crime contre l’humanité » – formule à la mode – dont l’Angleterre de ce temps s’est rendue coupable.
Ce sera l’objet du chapitre suivant.
1 – Et celui de « La Revue Napoléon », n°4 oct.-nov.-déc. 2000, J. Tulard, p. 35-38 ».