Lannes, presque un ami

Le maréchal Lannes fut mon premier contact avec ces héros d’une époque mythique pendant laquelle la France, sous la conduite d’un homme exceptionnel qu’il n’est nul besoin de nommer fut grande. Très grande. Celle d’aujourd’hui permet d’appréhender la différence.

Et pour ce premier essai ‑ inconscience du débutant ! ‑ je n’avais pas lésiné sur la qualité du personnage : le maréchal Lannes, duc de Montebello, star incontestée du Premier Empire et ami très proche ‑ mais rugueux ‑ de l’Empereur.

Cela fut aussi mon premier livre sur l’Empire.

Comme tel, il a donc tous les défauts d’un ouvrage de débutant.

Cela doit être vrai puisque certains ont dit que cet homme hors du commun, ce grand soldat, cette grande gueule sans détours, « méritait mieux ». Je mentionne ce jugement, car il ne faut jamais hésiter à donner du grain à moudre à ses détracteurs.

Peut-être ont-ils raison, mais, avec la naïveté d’un « bleu », j’avais voulu exprimer l’admiration et la sympathie que le maréchal Lannes avait suscitées en moi afin de les faire partager au plus grand nombre.

À cette époque ‑ naïveté fatale ‑ j’étais en effet encore loin de m’imaginer que l’histoire du Premier Empire était entre les mains d’une poignée de personnages qui n’acceptaient pas les intrus sur leur chasse gardée.

Je veux redonner vie à tous ces hommes. Leur redonner leur voix, faire « entendre » leurs pensées, leurs sentiments, leurs joies

Contrairement à ce qui me semble la démarche historique traditionnelle, je n’allonge pas des morts sur une table de laboratoire pour les « autopsier », et leur faire dire surtout ce que l’on souhaite entendre, comme c’est trop souvent le cas avec le Premier Empire. Histoire officielle oblige.

Je n’écris pas de thèse.

Mon ambition est bien plus modeste.

Je veux redonner vie à tous ces hommes. Leur redonner leur voix, faire « entendre » leurs pensées, leurs sentiments, leurs joies ‑ lorsqu’ils en éprouvent ‑ faire partager leurs souffrances.

Bref, les ressusciter.

C’est le parti que j’avais adopté pour ce premier ouvrage.

Essling, dernier combat de Lannes

En ce qui concerne le maréchal Lannes, je souhaitais ainsi, simple exemple, que les lecteurs l’entendissent à Essling, son dernier combat, exhorter avec la jovialité de son robuste accent gascon du Gers qui dominait le fracas du massacre et transperçait la fumée, les hommes du général Saint-Hilaire, alors en fâcheuse posture :

« Allons, allons, mes amis, l’ennemi ne vaut pas plus et nous ne valons pas moins qu’à Marengo. »

Je voulais aussi que l’on regardât avec émotion cet instantané, digne d’un reporter de guerre, que le fraîchement nommé colonel, François Lejeune, aide de camp à l’état-major général, nous a transmis :

« Quand j’arrivai près de lui, ses chevaux étaient tués, et je le trouvai assis avec quelques officiers derrière un pli de terrain qui couvrait le corps à hauteur de la ceinture, ayant encore entre lui et l’ennemi environ trois cents grenadiers, faibles restes de la valeureuse armée avec laquelle il défendait la position depuis le matin. Quelques traverses de bois servant de barrières pour limiter les propriétés, garantissaient contre les charges de cavalerie ce peu de fantassins épars en tirailleurs. Le maréchal me répondit : “Je n’ai plus que ce peu d’hommes que vous voyez ; nous tiendrons jusqu’au dernier, mais ils n’ont plus de cartouches et je ne sais pas où m’en procurer.” »

Dans quelques instants, le boulet fatal.

Je me prenais d’admiration pour le soldat, et de sympathie pour l’homme, et bientôt, quitte à faire sourire, d’amitié.

C’est cela ma « philosophie » personnelle : donner la primauté aux hommes sur les faits pour faire naître des images, éventuellement sonores, dont il est aisé de se souvenir.

Je n’ai aucun mérite, ces images, ce sont eux, les Soldats de la Grande Armée, qui les ont prises.

Je souhaite que, le livre refermé, certains lecteurs voient et entendent, vraiment entendent, pour, si possible, s’en souvenir, les paroles de certains personnages.

Ainsi, au cours de la retraite de Russie, je souhaiterais que l’on se souvînt parmi des dizaines de milliers d’autres, d’un homme de grade modeste : le sergent Picart du 2è régiment de grenadiers à pied de la Vieille Garde.

Alors qu’il s’est arrêté un petit moment de clopiner dans la neige avec son « pays », le sergent Bourgogne, il voit cette gloire intacte, mais blessée, qui défile devant lui, l’Empereur à sa tête, un bâton à la main.

Picart ôte alors son manteau blanc bien peu réglementaire, et la peau de mouton qui dissimule une blessure, puis, la main droite levée à son bonnet à poil, il confie en ces termes son désarroi à son ami :

« En vérité, mon pays, je ne sais pas si je dors ou si je veille. Je pleure d’avoir vu notre Empereur marcher à pied, lui si grand, qui nous a faits si fiers. »

Au fur et à mesure que je le découvrais derrière le dignitaire de l’Empire, je me prenais d’admiration pour le soldat, et de sympathie pour l’homme, et bientôt, quitte à faire sourire, d’amitié.

Au risque encore de faire ricaner ‑ le ricanement est la marque de notre époque ‑ j’ai ressenti une vraie tristesse, une tristesse physique, lorsqu’il m’a fallu décrire sa mort, mais, comme je le ferai toujours par la suite, je me suis efforcé d’estomper les passages les plus pénibles.

Les mots rechignaient à venir sous ma plume. Je ne les ai pas forcés.

Le maréchal Lannes fut aussi mon premier héros de l’Empire.

Grâce à lui, depuis, j’en ai découvert des centaines d’autres que je m’efforce de traiter avec les mêmes sentiments fraternels. Le mot n’est pas de moi, mais d’un lecteur des « Soldats de la Grande Armée » sur un site de vente.

Anecdote personnelle.

Que l’on me permette une anecdote personnelle.

Il y a peu, j’ai eu un très grave accident de santé :

« Vous n’aviez aucune chance de vous en tirer », m’a dit sans ambages, avec une nuance de surprise dans la voix, une pharmacienne de mes relations (1).

Nombre de mes connaissances, y compris un ami très cher présent sur le « Carré », m’ont dit que quelqu’un, certainement, avait veillé sur moi.

Quitte à susciter de nouveaux ricanements, je suis persuadé que cet « ange gardien », c’était le maréchal Lannes. J’aime cette idée d’une protection à travers l’éther.

J’ai écrit cet hommage, modeste compte tenu de l’homme à qui il est destiné, le 31 mai, car le 31 mai (comme le 5 d’ailleurs), est pour moi une date de tristesse, qu’importe l’année.


(1) Quant aux infirmières, principalement celle qui m’a sauvé la vie à la minute près, elles n’étaient pas loin de voir en moi un, je cite, « miraculé ». Je profite d’ailleurs de ce billet pour leur rendre un hommage déférent, car ce sont elles qui ont rendu supportables mes sept semaines d’hôpital.