Le lamento du directeur

Si nous ne le connaissions aussi bien, il pourrait (presque) nous tirer des larmes. Dans sa chronique du mois de juin 2019 intitulée « Le métier d’historien, la vérité ou la légende ? », le directeur de la Fondation Napoléon évoque le Mémorial de Sainte-Hélène, plus précisément celui revu, corrigé et (furieusement) élagué par ses soins et ceux de ses collègues.

Il ouvre sa chronique en tançant un « plumitif » ‑ toujours un tantinet méprisant le juriste-historien ! ‑ par cette phrase :

« Dans “L’homme qui tua Liberty Valance”, célèbre film de John Ford, un journaliste livre sans pudeur sa [la sienne ou celle de Ford ?] conception du métier : “Si la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende”. C’est évidemment ce qu’un plumitif ne doit pas faire, et le fait que bien des membres de la confrérie l’ait oublié n’est pas le sujet de cette chronique. »

Alors, pourquoi en parler ? De la part d’un donneur de leçons impénitent et pompeux, on eût évidemment préféré que le verbe « avoir » fût au pluriel (« aient »). Passons !

Thierry Lentz parlant de naïveté, on aura vraiment tout lu !

Dans cette Chronique, il nous révèle que, à propos de l’affaire de leur ‑ pas celui de Las Cases ! ‑ Mémorial de Sainte-Hélène compressé, lui et ses « collègues Peter Hicks, François Houdecek, et Chantal Prévot, ont rencontré de l’incompréhension « heureusement minoritaire » (ouf !) d’une partie du public.

Il évoque leur fierté (« raisonnable ») du travail accompli, leur joie « un peu naïve, avouons-le, qui suivit la parution dans le Figaro d’un grand article traitant de notre découverte », celle, évidemment, du fameux manuscrit (Thierry Lentz parlant de naïveté, on aura vraiment tout lu !).

Puis, vint l’incompréhension sous la forme de courriels, de commentaires sur « Facebook », de quelques « gazouillis » (tweets, précise-t-il pour ceux qui n’auraient pas bien compris), etc.

« Les gens sont vraiment méchants, car, voyez-vous, « nous n’avions aucune arrière-pensée (surtout pas commerciale)… »

Pas un « déferlement », mais une glissade :

« Nous passâmes d’un coup du rang d’historiens ayant (bien) fait leur travail à celui de traîtres à la cause napoléonienne ».

Les gens sont vraiment méchants, car, voyez-vous, « nous n’avions aucune arrière-pensée (surtout pas commerciale)… »

C’est évident. À qui pourrait-il venir pareille pensée ?
Amertume donc, car notre Directeur écrit :
« J’irai même plus loin en affirmant que nous considérions avoir fait notre « devoir » d’historien et que nous rendions un service à la connaissance de la fin de l’épisode napoléonien… »

Mais, réjouissons-nous, bonnes gens :

« Heureusement, le succès de cette publication et les articles favorables qui ont suivi nous ont confortés dans notre décision de publier la vérité, tout en mettant la légende en perspective. »

La vérité ! Mais quelle vérité ?
À 42 € l’exemplaire de ce « digest » ‑ un prix qui n’est guère dans les habitudes de lecture du Français moyen ‑ ce « succès » reste cependant à chiffrer. Avec de vrais chiffres. Authentifiés, il va sans dire, ce qui exclut d’emblée les chiffres de l’éditeur. Et ceux de l’auteur.

« Un des ronchons de service nous accusa même d’être des “agents” de l’Angleterre diffusant un faux manuscrit visant à atténuer l’impact du Mémorial sur son siècle. »

Dans cette manière d’homélie, une phrase a particulièrement retenu mon attention :

« Un des ronchons de service nous accusa même d’être des “agents” de l’Angleterre diffusant un faux manuscrit visant à atténuer l’impact du Mémorial sur son siècle. »

J’ignore s’il s’agit de moi ‑ qu’importe d’ailleurs ! ‑ mais si tel est le cas, je souligne que, dans le texte visé, le « ronchon de service » n’a jamais utilisé l’adjectif « faux ».

En revanche, le même « ronchon » maintient que la Fondation Napoléon est de facto de connivence avec, disons l’Angleterre pour simplifier, et l’on finira bien par connaître un jour la raison de cette soumission servile.

Pourquoi le site de la Fondation ne donne-t-il pas les noms et la nationalité des commanditaires de l’effroyable attentat de la rue Saint-Nicaise perpétré par les royalistes. Attentat qui a fait des politiciens anglais et des royalistes français, Artois compris, les précurseurs des terroristes d’aujourd’hui. Il n’y a vraiment pas de quoi se vanter. J’oubliais : c’était pour la Cause.

Pourquoi est-il muet sur la lettre manuscrite par laquelle le souverain britannique George III déclare la guerre à la France ? Le « Carré », qui n’a rien à cacher, en a parlé également.

Pourquoi ne dit-il rien de la déportation de masse des soldats et marins français prisonniers à bord de ces mouroirs flottants qu’étaient les pontons anglais, véritables précurseurs des camps de la mort nazis, à plus petite échelle évidemment ? Le « Carré » a consacré plusieurs articles à cette sombre et sordide affaire.

Pourquoi est-il muet sur la lettre manuscrite par laquelle le souverain britannique George III déclare la guerre à la France ? Le « Carré », qui n’a rien à cacher, en a parlé également.
Alors que Thierry Lentz, et, bien sûr, le « Grand Maître », Jean Tulard soi-même, n’hésitent jamais à déployer des trésors d’énergie et d’hypocrisie pour battre le rappel de leurs obligés, présents dans tous les médias d’importance afin de ridiculiser la thèse ‑ scientifique ‑ de l’empoisonnement qui les dérange mais qu’ils ont toujours échoué à détruire, ils sont restés étrangement passifs sur cette découverte ‑ capitale ‑ de l’histoire du Premier Empire. Il semble que, pour la Fondation, la seule découverte importante soit celle de « la première fois de Napoléon » !

Il y avait pourtant matière à « revisiter », comme on le dit couramment, toute la « philosophie » des emblématiques guerres napoléoniennes.
C’eût été sans doute trop gênant pour ceux qui les ont vraiment ‑ faut-il les nommer ? ‑ déclenchées et financées sans vergogne à coups de millions de livres, de centaines de milliers de canons, de fusils, de sabres, de biens d’équipement… offerts aux monarchies européennes, devenues de facto de simples mercenaires. Des laquais, pour ne pas écrire des larbins des politiciens et des négociants de Londres.

Ce Mémorial « made in Fondation » est d’une malhonnêteté fielleuse, et il n’est nul besoin d’être « complotiste »

Même avec la mention « Le manuscrit original retrouvé » ‑ ce qui donne à penser que Las Cases a « gonflé » son œuvre des 1 032 pages manquantes par rapport à la version intégrale des éditions Flammarion de 1951 ! ‑ cette version « jivaro » ne devrait pas avoir le droit de porter le titre de Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases. Elle n’est que celle de Thierry Lentz & Co.

Pour conclure ces quelques réflexions, je dirai qu’en se posant autoritairement comme le remplaçant de l’œuvre originale de Las Cases, ce Mémorial « made in Fondation » est d’une malhonnêteté fielleuse, et il n’est nul besoin d’être « complotiste » ‑ vocable à la mode ‑ pour constater qu’il s’agit en fait d’un énième épisode de la destruction de l’un des piliers de l’histoire du Premier Empire et de Napoléon.

En effet, sauf à se lancer dans une sorte de quête du Graal au résultat incertain sur Internet, quiconque aura l’idée (ou la volonté) de se mettre en quête de l’édition Flammarion de 1951, avec ses deux tomes de 910 et 922 pages, ne se verra proposer que la version « new look », celle qui détient supposément la « vérité ».

Et le (mauvais) tour sera joué. Imparable.
S’il était besoin de se convaincre de cette volonté de destruction, il suffirait de se souvenir que cet ersatz rabougri (800 pages) a permis à Jean Tulard de nous concocter l’un de ses petits textes sournois dans lesquels il excelle pour déboulonner la statue de Napoléon.

Je renvoie ceux des visiteurs du « Carré » qui ne l’auraient pas lu, ou qui l’auraient oublié, au texte :

« Le coup bas bien monté de la Fondation Napoléon », à propos de son article paru dans le magazine « Valeurs », et ainsi titré : « Le Mémorial de Sainte-Hélène, Chef d’œuvre de propagande »

Est-ce cela que Thierry Lentz appelle rendre « un service à la connaissance de la fin de l’épisode napoléonien… » ?

Quelle sinistre mascarade ! (1)


(1) Lorsque l’on va sur le site de la Fondation, on trouve ce petit encart : « Nous soutenir. Faites un don ». A-t-on vraiment besoin des dons de particuliers quand on a bénéficié, dans les années 80, d’un legs de quelque 250 millions de francs (« lourds ») consenti par l’industriel Martial Lapeyre ? En entendant ce chiffre, le directeur général d’une grande banque prestigieuse de mes connaissances en est resté coi.