Thème sensible entre tous, et un « must » pour les détracteurs de Napoléon, pour qui cette défaite était censée démontrer de facto que le « tyran » avait enfin reçu la juste punition de ses méfaits et de ses crimes qui avaient décimé la France et l’Europe. Petite précision qui n’est pas superflue : entre 1801 et 1815, donc à la fin de l’Empire, la France est passée (en chiffres – officiels – arrondis) de 29 400 000 habitants à 30 600 000 ! Mais surtout, surtout ne pas le dire. « L’Ogre » a saigné la France. Une saignée qui fait grossir ! Le triomphe des charlatans de Molière ! Sur cette funeste journée du 18 juin 1815, j’ai, selon l’expression bien connue, « commis » un livre, qui fut publié aux éditions Perrin.
J’y brocardais la misérable coterie royaliste réfugiée peureusement, comme si elle avait Attila en personne à ses trousses, en Belgique, à Gand, sa vie étriquée et ses prétentions mesquines, sous l’œil de « leur bon roi » Louis, un bon roi qui aura l’indécence révoltante d’organiser une « nouba » lorsque lui sera confirmée la mort de la Grande Armée dans la plaine de Waterloo.
J’y démontrais également – ah le crime ! – l’imposture qui, depuis cette date, fait de Wellington le tombeur de Napoléon, alors que, sans le secours de Blücher, la brute prussienne, et sans l’action décisive, jamais mentionnée, de quelques officiers belges, Vétérans de la Grande Armée, le duc était « done for », comme disent nos amis anglais. Ce qui, en bon français, se traduit « Foutu ». C’est l’un des aides de camp du duc qui a noté, dans ses Mémoires, la détresse de son chef à la fin de l’après-midi. Comme ce livre avait été retiré du circuit commercial à mon insu pour des « raisons diverses », mais aisément devinables, je pensais – et j’espérais, bien sûr – qu’il serait réimprimé à l’occasion du bicentenaire de la bataille. Une démarche éditoriale tout à fait classique. Mais, avec une élégance qu’il convient de saluer, le nouveau directeur de Perrin me répondit – je cite : « Cela coûte des sous » (sic)
Mon livre ne fut donc pas réimprimé en version brochée grand format ; il n’en subsiste qu’une minable édition dite « de poche », simple réduction photographique de l’original, et illisible. Mais Dieu merci, des « sous », il en trouva. Pour publier un livre du directeur de la Fondation Napoléon sur le sujet. Et pour rééditer la très coûteuse trilogie de Dominique de Villepin avec lequel il a des affinités.
– En 2009, je fis paraître un récit de la campagne de Russie. Ce travail eut l’heur de plaire à la critique littéraire de « Radio Courtoisie ». Mon attachée de presse m’annonça que cette dame souhaitait me convier à l’une des ses émissions pour en parler, mais en précisant qu’elle attendait pour ce faire – je cite encore – « d’avoir l’aval de… ». Devinez ! Inutile d’en dire davantage pour prédire ce qui s’ensuivit.
– Dernier exemple : j’avais proposé aux éditions Plon un manuscrit « karcher » très contestataire dans lequel je mettais vigoureusement en cause le gouvernement anglais de l’époque pour son rôle funeste – mais soigneusement occulté – dans les guerres de ce temps, et je soulignais la malhonnêteté criante de certains historiens napoléoniens.
Que pensez-vous qu’il arriva ? Malgré l’intérêt du PDG de Plon pour ce thème, le manuscrit, dont la couverture avait été choisie et réalisée, fut bloqué en plein processus de fabrication ! Fin de partie.
Je bats ma coulpe, car cela est vrai, j’ai beaucoup péché. Je me suis fait l’intermédiaire entre Ben Weider, promoteur de la thèse interdite de l’empoisonnement, les scientifiques qui ont démontré sa justesse et le grand public, via Internet et des conférences, dont certaines restèrent secrètes, la partie invitante (je pense notamment à l’antenne belge du Souvenir Napoléonien, qui m’en fit l’aveu) ne voulant pas faire l’objet d’une répression financière, qui les aurait privés de la manne allouée par la Fondation Napoléon.
Et cela ne me sera pas pardonné, car Napoléon n’a pas été empoisonné ; tous les scientifiques se sont donc grossièrement fourvoyés. La Fondation en a décidé ainsi, et, maintenant, silence dans les rangs ! Qu’on ne se méprenne pas ! Je n’ai pas évoqué mon cas personnel pour parler de moi, mais pour démontrer que, oui, la censure existe bien.
Vous ambitionnez d’écrire sur Napoléon ? Pour cela, devenez d’abord membre du Souvenir Napoléonien, faites votre cour, flattez les instances, « pape et cardinaux », ne sortez pas des sentiers (re)battus, n’oubliez jamais que « Surprise et propagande, voilà le génie de Napoléon » (dixit Jean Tulard), ne ratez surtout pas une occasion d’affirmer haut et fort que la thèse de l’empoisonnement de Napoléon est une fumisterie, une théorie « loufoque », et ne vous inquiétez pas des réactions éventuelles des scientifiques qui l’ont démontrée (ils ne s’abaisseront pas à vous répondre), et, à chaque fois que l’occasion s’en présentera, dites que les guerres de l’Empire sont « napoléoniennes ».
Vous pouvez même vous permettre quelques traits d’insolence, envers Napoléon, il va sans dire. Écrivez, par exemple, quelque chose dans le style de Patrick Gueniffey, historien labellisé « napoléonien » – ce qui autorise tout : « Chez Napoléon, la passion amoureuse est associée au plaisir de faire la guerre, autant il aime Joséphine, autant il aime faire la guerre, ces deux passions se mélangent ». Sorti tout droit du réservoir à phantasmes de l’auteur, ce genre d’imbécillité phraseuse, qui ne repose sur rien, a fait, et fait encore, des ravages : le massacreur impénitent de l’Europe était un obsédé sexuel. Encore plus insolent et osé, car il ne faut surtout pas vous retenir, la réussite est à ce prix : « Il est peu membré, si l’on en croit son autopsie à Sainte-Hélène » (Jean Tulard). Très grand public, cette percutante observation, qui se réclame hypocritement de la « science » ! Idéal aussi pour ridiculiser le personnage qui a fait trembler et reculer tous ses ennemis, tout en reconstruisant la France. Dans le même « esprit », si j’ose écrire, cette affirmation d’un intervenant de l’une des émissions de Stéphane Bern, Michel De Decker : « Napoléon n’était pas franchement admirablement équipé génitalement [!] parlant, une atrophie sexuelle, qui lui faisait courir la gueuse sans arrêt ». La classe. La grande, à l’état pur.
Imagine-t-on ces messieurs parlant du général de Gaulle en termes aussi répugnants ? Et si un jour, vous évoquez, non la déportation, bien sûr, mais « l’exil » de l’Empereur à Sainte-Hélène, il sera de bon goût d’évoquer le geôlier Hudson Lowe avec retenue et en des termes bienveillants, comme ceux de Thierry Lentz, qui le décrit comme un brave homme « gérant en bon père de famille » le budget alloué à la garde de son illustre prisonnier. Il ose tout, Thierry Lentz, et ce n’est pas nouveau ! Des mots qui doivent être très bien vus des employés anglais de la Fondation Napoléon.
En ce qui me concerne, j’ai la conscience tranquille. Jamais, et cela me fut souvent reproché, je n’ai fait le moindre tort à la mémoire de Napoléon. Sinon, je ne serais pas accueilli par le « Carré Impérial ». Comme l’histoire de Napoléon et du Premier Empire, telle qu’elle nous est imposée est une écœurante tromperie, j’estime qu’il est du devoir de quelques-uns d’entre nous de se lever – il faut ici remercier Loïck Bouvier d’avoir créé le « Carré Impérial » – pour tenter de contrer cette scandaleuse manipulation qui n’a qu’un seul objectif : masquer (dans quel but réel ?) les vilenies d’un pays, aujourd’hui certes allié, mais qui fut le plus mortel ennemi de Napoléon et de la France.
Comme je l’ai écrit dans l’une de mes réactions, publiée ici même, en réponse à un article indécent d’un journaliste du « Telegraph », qui traitait Napoléon de « dictateur brutal et impitoyable » (les « instances », elles, sont restées muettes) : « C’est vous, ministres conservateurs du gouvernement Pitt et successeurs, qui, en rompant délibérément la paix d’Amiens au mois de mai 1803, et en dédaignant les offres de paix que Napoléon vous a faites aussitôt monté sur le trône, êtes les premiers responsables de ces morts et de ces blessés de toutes nationalités qui ont endeuillé les années 1804-1815, et il faut que vous ayez encore bien des choses sordides à dissimuler pour continuer de vous acharner ainsi contre un homme que vous n’avez jamais cessé d’insulter, de harceler, tout en poussant les autres à faire la guerre à votre place ».
Autre petit conseil aux candidats à l’écriture d’un ouvrage sur le Premier Empire : gardez-vous bien de tenir semblables propos, sinon « on » vous fera une réputation d’anglophobe hystérique. Une détestable image de marque, si vous souhaitez aller plus loin dans votre ambition. D’où la nécessité pour vous, candidat à l’écriture impériale, de ne jamais aller à l’encontre des « vérités » établies.
Si vous parvenez à faire publier votre manuscrit sur Napoléon, n’oubliez pas de le dédier respectueusement au « pape de la napoléonie ». Lui demander une préface est toujours un « plus » très apprécié. Cela accompli, tous les espoirs vont seront alors permis. Peut-être même pourrez-vous avoir un jour l’honneur insigne d’écrire pour les « stars maison ». Ce qui n’est pas rien.
On se flatte souvent que la France soit une démocratie, et que, comme telle, on y jouisse de la liberté d’expression. Quelle sinistre farce en ce qui concerne Napoléon et le Premier Empire ! Réflexion faite, j’aurais dû faire mienne cette pensée que Georges Brassens exprime dans l’une de ses chansons-poèmes : « Les braves gens [!] n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux ». Oui, il faut toujours écouter les poètes, car, écrit le grand Victor Hugo, « le poète, ne doit avoir qu’un guide, la vérité ». Voici au moins une certitude : on ne risque guère de rencontrer des « poètes » au Souvenir Napoléonien ou à la Fondation Napoléon.