En 2015, le bicentenaire de la bataille de Waterloo a été très médiatisé. Sur BFMTV, les cérémonies ont été diffusées en direct. Sur France 2, l’émission « Envoyé spécial » a fait découvrir la vie des passionnés de la reconstitution historique. Sur France 5, l’émission « C dans l’air » a intitulé un de ses thèmes « Napoléon : génie ou tyran ? ». À chaque fois, des « experts » sont intervenus pour faire œuvre de pédagogie envers les profanes qui, parfois, découvraient Napoléon…
Le discours était souvent pessimiste. À les entendre, Napoléon n’avait aucune chance de gagner. Même s’il avait gagné la bataille de Waterloo, il aurait fallu encore batailler jusqu’à son inévitable défaite, le nombre d’ennemis étant trop important. Qu’il faudrait presque se réjouir d’avoir perdu parce que cela a permis de retrouver une paix durable et la stabilité politique en Europe.
Cette vision fait abstraction de quelques points essentiels, et en particulier, un : la dette colossale que les « Alliés » firent peser sur le peuple français.
1er POINT : Lannes, Murat et Bessières ont douté de Napoléon ; avant la bataille d’Austerlitz, ils lui ont suggéré de se replier
À plusieurs reprises, les maréchaux Lannes, Murat et Bessières ont douté de Napoléon ; avant la bataille d’Austerlitz, ils lui ont suggéré de se replier. La situation était délicate car les armées ennemies convergeaient de tous les points de l’Europe pour attaquer la France, et en même temps, la France était face à une crise économique majeure.
Pourtant, c’est la victoire d’Austerlitz qui arrête toutes les armées ennemies et apporte la paix. L’entourage de Napoléon comprenait qu’impossible n’était pas français. Et à Waterloo, tout était possible.
2e POINT : l’état d’esprit de la population française ressemblait à celui du début de la Révolution et de la levée en masse
Les « experts » en ont peu parlé, mais les Français étaient excédés par le comportement des Bourbons. En 1815, si Napoléon a pu revenir de l’île d’Elbe, et aller jusqu’à Paris sans combattre, c’est que personne ne voulait mourir pour les Bourbons.
Les Bourbons voulaient nier 25 ans d’Histoire et revenir au système d’avant la Révolution. Comme le dit Jean-Claude Damamme dans son livre « la bataille de Waterloo » : n’avoir pris part à aucune des campagnes de l’Empire était devenu un titre de gloire, garant de prestes promotions.
Durant les Cent-Jours, l’état d’esprit de la population française ressemblait à celui du début de la Révolution et de la levée en masse. Plus de 7000 hommes par jour se portaient volontaires pour intégrer l’armée.
3e POINT : La France dût payer une indemnité de guerre de 700 millions de francs sur 5 ans, avec 15 engagements de 46 millions
De nos jours, les médias parlent de la dette des États. Ils dépeignent souvent le traité de Versailles de 1919 comme un traité insupportable qui a humilié l’Allemagne, et qui a été la cause de la Seconde Guerre mondiale.
Par contre, pour le bicentenaire, ils n’ont rien dit sur le traité de Paris de 1815 et sur la dette colossale que devait la France aux « Alliés », avec le consentement intéressé des Bourbons revenus sur le trône.
Sous le règne de Napoléon, le budget de la France oscillait entre 500 millions de francs en temps de paix à 800 millions en temps de guerre ; ces valeurs donnent la mesure du sacrifice consenti.
La France dût payer une indemnité de guerre de 700 millions de francs sur 5 ans, avec 15 engagements de 46 millions. Elle dût payer une rente de 7 millions sur un capital de 140 millions de francs. Elle fût occupée pendant 5 ans par 150 000 soldats nourris et logés, soit un budget de 50 millions de francs par an. Elle dût acquitter des indemnités aux sujets des puissances alliées, lésés par les guerres de l’Ancien Régime, de la Révolution et de l’Empire, soit 240 millions de francs, après avoir réclamé, dans un premier temps, 1,6 milliards de francs. Elle dût payer 144 millions de contributions forcées en 1815.
Nous sommes bien loin des montants des contributions de guerre que la France demandait à l’Autriche après la bataille d’Austerlitz, 50 millions de francs, ou bien des 90 millions de francs en 1809 après la bataille de Wagram ; c’était pourtant l’Autriche qui avait déclaré la guerre à la France.
4e POINT : Moins de guerres, plus de révolutions
Selon les « experts », l’après Waterloo est une ère de paix. La France, exsangue, ne pouvait plus rien faire contre cet ordre « rétabli ».
Et que se passe-t-il en 1830 et 1848 ? La France se rebelle.
Les peuples, ayant connu la méritocratie et les avancées de la Révolution française, se sont rebellés aussi : la Pologne et la Belgique en 1830, l’Italie en 1848. Ces pays avaient tous appliqué le Code Napoléon.
Cette guerre, comme la plupart des guerres de l’Histoire, était une question d’argent
La guerre sous Napoléon n’était pas due à son ambition démesurée comme on l’entend souvent. Cette guerre, comme la plupart des guerres de l’Histoire, était une question d’argent.
Napoléon se montrait magnanime pour essayer de rétablir la paix en demandant des compensations de guerres mesurées. Mais ses adversaires, toujours à court d’argent, l’accusaient d’avoir pillé les pays européens. Ils entretenaient la guerre pour pouvoir « se refaire » comme des joueurs de casino. Tandis que l’Autriche, la Prusse et la Russie se partageaient le continent européen, l’Angleterre avait acquis le contrôle des mers et des colonies au détriment de la France, de la Hollande, de l’Espagne et du Portugal. Les « Alliés » prétendaient se battre contre le seul Napoléon, l’usurpateur qu’ils avaient déclaré « hors la loi », mais en cachant bien l’ampleur de la dette des Français.
Un article remarquable, mais, évidemment, historiquement incorrect.
Tout y sonne juste parce que tout est vrai.
Il est exact qu’en 1815, le peuple français était excédé du comportement des Bourbons, qui, bien que revenus comme de simples bagages dans les fourgons anglo-prussiens (pour simplifier), avait repris toute leur arrogance ante 1789.
Quant à la fameuse « légende noire », elle n’est que l’une des inventions sournoises de quelques historiens napoléoniens. Les Français étaient encore prêts à combattre avec et pour Napoléon.
Dans ses « Souvenirs de Paris en 1804 », un écrivain et dramaturge allemand, August von Kotzebue, note :
« Beaucoup d’émigrés, qui s’étaient hâtés de fuir dès les premiers troubles, rentrent sans bruit. Dans ce Paris qui reste révolutionnaire par l’aspect sinon par les tendances, ils trouveront les traces mal effacées de tous les maux que causa en partie leur lâcheté incurable. Ils pourront voir encore, avec une indignation qui n’ose pas se manifester, avec une douleur qui devrait s’accompagner de remords, sur l’ancienne place Louis XV, la barrière de bois qui entourait l’échafaud, cet échafaud sur lequel montèrent, livrés par eux, Louis XVI, Marie-Antoinette, et les plus fidèles serviteurs de la monarchie… »
Comme l’écrit très justement Kaspy, qui aurait eu envie de mourir pour ces gens-là ?
Comme il a tout à fait raison d’écrire que Napoléon se montra toujours beaucoup trop pondéré dans ses demandes d’indemnités de guerre, et qu’il fit part de trop de mansuétude envers ces monarchies qui ne rêvaient que de l’anéantir.
En 1806, il eût fallu qu’il abatte la couronne de Prusse, et, en 1809, celle d’Autriche, dont le souverain n’était pas encore son beau-père. On verra d’ailleurs en 1813 et 1814 la reconnaissance que le beau-père en question aura pour son gendre.
Dans cet esprit, il faut toujours rappeler cette phrase extraite de « L’histoire de Napoléon » par Norvins, car elle dit tout sur « l’esprit » ses souverains européens envers la maître de la France :
« L’Europe ne cessa de le provoquer à la guerre dans l’espoir d’user les forces du géant qui se consumerait à force de victoires. Le calcul était juste : victorieux pendant vingt ans, Napoléon a succombé enfin sous les coups de ses alliés, qui ne cessèrent jamais d’être ses ennemis. »