Récemment, un politicien français a fait une sorte de déclaration, sinon d’amour (encore que…), mais d’admiration à Napoléon. Tout arrive ! On la doit à Jean-Vincent Placé, le « Vert » médiatique, interviewé par le site Herodote.net.
Cet ex-sénateur (pour les détails, se rapporter à une encyclopédie en ligne bien connue, ou autre) est devenu tout récemment, après une persévérance sans faille, secrétaire d’État chargé de la Réforme de l’État et de la Simplification…
Interrogé par le site, il livre aux visiteurs sa vision du grand homme. Il serait injuste d’écrire que notre ministre n’admire pas Napoléon, mais il est bien regrettable qu’on l’entende égrener beaucoup de lieux communs et d’anecdotes, de trop peu d’intérêt pour être listés ici.
Le site, dans l’article d’accompagnement de la vidéo, évoque, lui, un « aveu jubilatoire et sincère », « un portrait remarquablement équilibré en relevant ses coups de génie tout comme ses erreurs et ses excès. »
Jean-Vincent Placé admire le génie militaire du général Bonaparte et celui de l’Empereur, dont il salue presque avec émotion le fabuleux retour de l’île d’Elbe sans coups de fusil ni victimes.
Dans un pays, la France, où le plus infime politicien détale comme un lapin au seul nom de Napoléon, les propos de JVP font plutôt plaisir à entendre. Mais…
SON AUTRE REGARD
… Mais il est quand même très fâcheux pour la démonstration de l’entendre dire qu’il a fait tirer sur la foule le 13 Vendémiaire an IV : n’étant pas encore le « patron », il n’a fait qu’exécuter l’ordre de la Convention de mater la révolte royaliste, c’est-à-dire, excusez du peu, quelque 20 000 insurgés, sans rose à la main.
Mais il est également fâcheux de l’entendre proférer des reproches – autre lieu commun – sur le peu d’intérêt porté par Napoléon, lui, l’officier d’artillerie, à la marine. En outre c’est faux*. La magnifique marine royale de Louis XVI avait été saignée à blanc par les délires révolutionnaires qui l’avaient privée du corps prestigieux des officiers, et Napoléon n’épargna pas sa peine pour lui redonner toute sa puissance. Mais on ne lui laissait pas beaucoup le loisir de s’en occuper davantage, car sur terre, « on » veillait à ce qu’il fût très occupé.
Mais il est fâcheux d’entendre parler des « soldats qu’il a engloutis » (!) dans ses campagnes – ce qui nourrit les idées fixes de ses détracteurs – et de sa « folie de la conquête ».
Qui, nom d’une pipe, a déclaré les mal nommées guerres napoléoniennes ?
Il devrait pourtant les connaître, M. Placé : Anglais restés sur la touche pendant longtemps, tout en distribuant leurs livres sterling à leurs mercenaires russes, prussiens, autrichiens, suédois (du bon roi félon Bernadotte), espagnols, portugais…
Fâcheuses aussi ces affirmations sur l’inutile guerre d’Espagne (laisser les Anglais bien installés au Portugal sans barrage !), car le Bourbon d’Espagne « était notre allié ». Trouvée au château de Charlottenbourg lors de l’entrée des Français à Berlin après la double victoire d’Iéna-Auerstedt de 1806, une lettre personnelle de Charles IV à son homologue prussien dépeint précisément quelle sorte d’allié était le roi d’Espagne. Il soutenait Napoléon comme la corde soutien le pendu.
Alors, absurde la campagne d’Espagne ?
Désastreuse sans doute, mais il est des erreurs que l’on est parfois entraîné malgré soi à commettre. Quant à qualifier le frère de Napoléon, jeté sur le trône d’Espagne, « d’incapable » – autre lieu commun – cela reste à démontrer. Affirmer est trop facile.
Fâcheux tout autant d’asséner de manière péremptoire que le Blocus continental et la campagne de Russie n’avaient « aucun sens ».
Fallait-il laisser le commerce anglais prospérer pour nourrir toutes les campagnes contre la France ?
Fallait-il admettre sans sourciller que le tsar Alexandre, qui, deux fois vaincu, en 1805 et 1807, avait quémandé une paix accordée à la seule condition qu’il fermât ses ports aux navires anglais, n’honorât pas sa signature du traité de Tilsit ?
La campagne de Russie a été, cela est vrai, un désastre, mais faut-il toujours faire le dos rond, et se coucher devant l’ennemi ?
VERRE PROGRESSIF
Un bon point cependant pour le nouveau secrétaire d’État : il désavoue le révoltant ouvrage (« Le Mal Napoléonien ») de l’ancien Premier ministre trotskiste, Lionel Jospin. Dans les colonnes de « l’Obs », l’actuel directeur de la rédaction de Libération, Laurent Joffrin, en avait d’ailleurs fait un compte rendu follement dithyrambique.
Je pense avoir bien relevé cette phrase : « Sainte-Hélène lui aurait apporté une sorte d’absolution pour ses méfaits… »
Jean-Vincent Placé semble être sincère dans son admiration en demie teinte affichée pour Napoléon, mais son hommage laisse sur une impression désagréable.
EXEMPLE DE MYOPIE
Si les admirateurs sincères devront aller voir et entendre ailleurs pour trouver matière à entretenir leur flamme, les détracteurs, eux, en revanche, y trouveront beaucoup de grain à moudre pour nourrir leurs phantasmes de détestation.
Exemple concret avec cette réaction d’un nommé Paul qui figure sur le site :
« Sans vouloir être polémique [bien sûr que non], Napoléon ne serait-il pas jugé actuellement comme criminel de guerre ? Plus de 1,4 millions de morts, de jeunes hommes tués pour quoi avec des conséquences ayant eu des répercussions négatives ressenties pendant près d’un siècle ! Souffrances des populations occupées italiennes et surtout espagnoles (voir Goya !) Semeur de morts pour quelle ambition mégalomane, pour quel idéal, et je dirais mais « de quoi je me mêle » vouloir apporter la bonne nouvelle de force…! C’est-à-dire conduire à des régimes de « Restauration » pire que ce qui précédait l’agression. Comment certains peuvent-ils quasi déifier un fauteur de guerres ? Rien n’excusera jamais la mort de millions de jeunes hommes quel qu’en puisse être le prétexte »
Une pensée du pasteur Martin Luther King répondra opportunément à ce commentaire érudit et tout en finesse, et c’est sur elle que se terminera ce billet :
Rien n’est plus dangereux au monde que la véritable ignorance et la stupidité consciencieuse.
* Lire sur ce sujet un article très complet sur le site de la Fondation Napoléon (napoleon.org) : « Napoléon et la Marine ».