Napoléon, l’éruption du Tambora et Waterloo

Au moment où les dernières lueurs du crépuscule s’affaiblissaient pour laisser place à la nuit, les restes héroïques de la Vieille Garde s’efforçaient de contenir le torrent des fuyards. Le chaos était alors endémique dans les rangs français. La discipline et l’ordre avaient abandonné l’armée française et ne se trouvaient plus maintenus que dans quelques bataillons de vieilles moustaches. Les grognards marchaient au pas en direction du Sud, les lèvres serrées et le cœur lourd. La nuit était tombée ce 18 juin 1815 et leur Empereur venait à l’instant de perdre la bataille.

Le stratovolcan Tambora

Jamais un combat ne fut aussi disputé, bien que la vaillante armée française eût à faire face, à la fin, à une force combinée qui était proche du double de ses effectifs. Il semblait que le sort lui-même s’était ligué contre eux. Peut-être même le ciel, un phénomène météorologique ou climatique ? Cette assertion peut paraître a priori ridicule, une piètre excuse pour expliquer la défaite. Mais ceux qui seraient enclin à se moquer, n’ont bien évidemment pas entendu parler de Tambora (Lien Wikipédia).

Il y a plus de 17.000 îles dans l’archipel indonésien qui s’étirent à travers des milliers de miles de mers et d’océans. Elles varient en taille depuis les géantes comme Java et Sumatra jusqu’aux minuscules et insignifiants points inhabités et peu fréquentés. L’une de ces îles est appelée Sumbawa.

L’énorme cratère situé au Nord peut nettement se voir sur l’image satellite. Sumbawa se trouve à l’intérieur de la bien nommée ceinture de feu, l’un des endroits sur terre où règne l’une des plus grandes activités volcaniques. Tambora avait un cône composite et était du type de volcan le plus meurtrier qu’il soit : un stratovolcan. De même que le Krakatoa, tristement célèbre et situé dans la même région.1

Les feux de la lave en fusion, jusqu’ici enfouis jusqu’au plus profond de la croûte terrestre, commencèrent à s’agiter de façon spectaculaire à partir de 1812 – une année fatidique, si jamais il y en eut une. Vapeurs et fumées s’élevèrent depuis le cône du volcan menaçant et la cendre se répandait sur la jungle et les mers environnantes. Les autochtones, aussi bien que les gens se trouvant à bord des navires de passage, ont certainement dû jeter un œil circonspect sur cette menace imminente.

1811-1812, le grand risque de Napoléon

De l’autre côté du monde, le plus grand homme du XIXème siècle était sur le point de prendre un grand risque. L’allié supposé de Napoléon, le Tsar Alexandre de Russie, avait déployé ses forces le long de la frontière en 1811, menaçant ainsi l’empire de Napoléon. Incapable d’obtenir l’alliance des suspects habituels, l’Autriche et la Prusse, Alexandre se déroba. En l’absence des millions en or que l’Angleterre pouvait utiliser afin de suborner les armées continentales et les amener à combattre les Français, l’entreprise d’Alexandre fut considérée comme trop risquée, aussi bien par François d’Autriche que par Frédérick-William de Prusse.

Adieux de Napoléon et d’Alexandre après la paix de Tilsit (9 juillet 1807), Gioacchino Serangeli, 1810, musée de l’Histoire de France (Versailles)

Napoléon en avait assez. Il avait été extrêmement indulgent avec Alexandre à Tilsit, en 1807, et il s’était pris d’affection pour l’élégant, cultivé mais très impressionnable jeune Tsar. La Grande Armée avait battu les Russes de façon décisive à Friedland et les provinces occidentales du grand colosse se trouvaient à la merci de Napoléon. Ce n’était pas la première fois, ni la dernière, que Napoléon se montrait magnanime dans la victoire. Alexandre lui assura qu’il haïssait les Anglais autant que Napoléon pouvait les détester, ce à quoi l’Empereur des Français répondit que, dans ce cas, la paix entre eux était assurée. Ils s’entendirent si bien qu’ils en vinrent à plaisanter sur le fait que, pendant les négociations de paix, chacun serait le secrétaire de l’autre.

Comme beaucoup d’alliances politiques, celle-ci n’allait pas durer. Alexandre avait assuré à Napoléon que la Russie fermerait ses ports aux marchandises anglaises. Un embargo commercial était le seul moyen pour Napoléon d’exercer des représailles contre la Grande-Bretagne. Le cabinet britannique et le comte d’Artois – le plus jeune frère de Louis XVIII, roi français en exil – avaient sans cesse organisé des complots contre la vie de Napoléon et continuaient à fomenter des guerres et des dissensions sur le continent. Britannia ne se contentait pas de gouverner les vagues, elle était également déterminée à planter son trident partout où cela pourrait causer le plus de dommages aux Français.

Le Tsar, qui avait été fasciné par le charisme de Napoléon quand, finalement, il le rencontra en personne, retourna à Saint-Pétersbourg pour découvrir que le traité de Tilsit était rejeté avec répugnance par la classe dirigeante russe et vu comme un pacte avec le diable par les membres de sa propre famille, laquelle n’était pas du tout satisfaite de lui. En conséquence à cette situation, la dérobade d’Alexandre devant les clauses du traité commença presque immédiatement. A Erfurt, en 1808, Alexandre promit d’envoyer des troupes pour venir en aide à Napoléon si jamais les Autrichiens provoquaient une autre guerre, mais en 1809, quand François II lança une attaque surprise sur la Bavière, alliée de Napoléon, les soldats russes brillèrent surtout par leur absence sur le champ de bataille de Wagram. Malgré ça, Napoléon permit à Alexandre d’annexer quelque territoire dans les transactions de paix qui suivirent.

Alors que Napoléon rassemblait ses forces en 1812 pour ce qui allait être, comme il le savait, une lutte épique, la vapeur et la fumée s’élevaient depuis la bouche affamée du Tambora. Un géant était en train de sortir d’un sommeil qui avait duré 5.000 ans. La fameuse comète qui avait présagé l’invasion de la Russie, avait déjà flanqué une peur bleue aux gens superstitieux dans beaucoup de pays européens. Etant donné que la dévastation de la guerre menaçait à nouveau d’innombrables paysans et de non moins nombreux citadins, personne ne songeait que leurs vies étaient sur le point d’être secouées par une force de la nature à côté de laquelle même l’armée de Napoléon, forte d’environ 500.000 hommes, paraissait sans importance.

Le 24 juin 1812, Napoléon et ses troupes franchissent le fleuve Niémen

C’est comme si le dieu Vulcain jonglait avec les plaques de la terre, le magma en fusion bouillonnait et roulait sous la croûte déformée de Sumbawa. Il y avait des grondements et des épanchements de fumée noire. Une force qui, une fois lâchée, serait l’équivalent de milliers de bombes atomiques, se rassemblait sous le fier Tambora, façade austère.

Sur la surface de la fine croûte terrestre, à des milliers de miles de là, en Europe, de minuscules humains étaient en train de jouer avec leur destinée. Pendant deux semaines, en 1812, Dresde devint le centre du monde. Arrivé le 16 mai, Napoléon s’établit rapidement au palais de son allié le roi de Saxe et, de cet endroit, il s’occupa des derniers préparatifs de l’invasion de la Russie. A côté de lui voletaient, comme des papillons de nuit autour d’une flamme, les souverains réunis des états qu’il avait vaincus : l’empereur et l’impératrice d’Autriche, le roi, la reine et le prince héritier de Prusse, des douzaines de princes germains et une myriade de nobles secondaires. En son honneur, de grandes réceptions furent données, des représentations théâtrales, des chasses au sanglier, des exhibitions de feux d’artifice, des illuminations et des processions à la lueur des flambeaux. A l’âge de quarante-deux ans, l’Empereur de France était au sommet de sa puissance et le sort de l’Europe semblait reposer entre ses mains.

Les feux de Moscou, cette année-là, furent le résultat d’un plan fou établi par Rostopchin, le gouverneur de la ville, mais encore se réduirent-ils à rien en comparaison avec le chaudron bouillonnant de lave volcanique prête à être libérée dans l’hémisphère sud.

Le général Hiver détruisit la Grande Armée de Napoléon, aidé dans sa tâche par la famine, la maladie, une mauvaise gestion et la malchance. La cavalerie de Napoléon disparut presque du jour au lendemain. L’Empereur se retrouva le dos au mur en 1813 et 1814, mais c’est la traîtrise qui, finalement, le chassa du pouvoir, pas la force militaire des alliés.

La « retraite » de Russie d’Adolph Northen

Mars 1815, le retour de Napoléon

Quand il quitta l’île d’Elbe pour retourner en France, dans les acclamations populaires sinon universelles, il put marcher sur Paris sans qu’une goutte de sang n’ait été versée. L’Empereur était revenu chez lui. Louis XVIII était brinquebalé dans son carrosse et cela aurait dû être la fin définitive de son règne. Cependant, les royalistes en Europe et les aristocrates parasites dans beaucoup de pays, s’acharnaient, les uns à récupérer tous leurs privilèges, s’ils étaient Français et les avaient perdus durant la Révolution, les autres à conserver leurs droits acquis à la naissance et leurs gratifications s’ils étaient d’autres pays, tout particulièrement en Grande-Bretagne. Aussi, l’appel de Napoléon pour la paix – il envoya des lettres à tous les monarques – resta-t-il sans réponse.

Des hommes comme Jean-Roch Coignet affluaient à Paris afin de servir Napoléon à quelque titre que ce soit. En 1815, l’Empereur était sur le point d’avoir sa meilleure armée depuis 1809, étant donné que de nombreux vétérans revenaient se placer sous les drapeaux. Mais le moral était fragile. Les soldats ordinaires étaient fidèles, animés d’une inflexible résolution, mais il y avait beaucoup de traîtres « dévoués » à l’instar de Bourmont, l’un des agents du comte d’Artois, qui attendaient juste leur heure dans le corps des officiers.

Acclamation à Grenoble au Retour de Napoléon, le 7 mars 1815

Avril 1815, l’éruption du Tambora

Le cri de « Vive l’Empereur » se faisait entendre dans les rues et les boulevards et ensuite sur le chemin menant à la frontière, le chœur de milliers d’hommes prêts à mourir pour celui qui était qualifié de génie même par ses ennemis. Mais tout cela serait sans résultat en raison de ce qu’à l’autre extrémité du monde, le rugissement du Tambora s’était fait entendre le 10 avril 1815. Cela avait demandé des siècles pour que la chambre magmatique située sous le volcan se remplisse. Puis, une suite d’explosions titanesques déchira l’air, propulsant des torrents de cendres volcaniques très haut dans la stratosphère. L’éruption dura sept jours et un gros morceau du Tambora, large d’un mile, fut vaporisé. Avec un indice de 7 sur l’échelle des explosions volcaniques, un indice très élevé encore jamais observé, Tambora fut la plus forte et la plus importante éruption volcanique dans toute l’histoire de l’humanité. Des nuages de cendres s’abattirent sur les îles éloignées de Bornéo et de Java et sur celle plus proche de Sulawesi. Quelques 71.000 personnes décédèrent, environ 11.000 furent directement tuées par le volcan, le reste mourut de famine et de maladie.2

Ses effets se manifestèrent à l’échelle planétaire. Une fois que la cendre pénétra dans la stratosphère, la poussière et autres roches détritiques furent prises dans le « jet stream » et dérivèrent tout autour de la terre. Steven Cary, de l’université de Rhode Island, établit que : « L’éruption du Tambora, qui est la plus grande éruption dans l’histoire de l’humanité dont nous ayons eu connaissance, provoqua un refroidissement mondial d’environ 1 degré centigrade… Cela eut de très importantes implications »3 – y compris des différences de température, dans certaines régions, pouvant aller jusqu’à 10 degrés. Il y eut une perte de près de 90 % de la lumière qui amena un crépuscule surnaturel en pleine journée, et des gelées firent leur apparition en Nouvelle Angleterre durant l’été 1816. En effet, l’an 1816 fut généralement connu comme étant « l’année sans été », lequel phénomène provoqua des famines générales. L’obscurité arriva à son paroxysme en septembre 1815. Ainsi que Byron le nota : « le soleil étincelant s’éteignait… l’aube venait et s’en allait – et venait, et n’apportait aucun jour ».4

tambora-napoleon

Juin 1815, des pluies semblables à la mousson en Belgique !

100 à 150 km³ de cendres et de débris furent envoyés très haut dans le ciel, accompagnés de 200 millions de tonnes d’anhydride sulfureux, et un sombre nuage enveloppa la création dans une apocalypse biblique amenant un refroidissement mondial général.5 Des gouttes de pluie se formaient autour de minuscules particules de poussière qui flottaient dans l’atmosphère – imaginez ce qui arrive quand il y a des trillons de particules de poussière pour former un tel nucleus. Les pluies torrentielles en résultant étaient suffisantes pour satisfaire même le dieu de l’orage des Hittites. Et quelques-unes de ces pluies sans précédent se produisirent la nuit avant Waterloo.

Dans le morne, humide et lugubre été 1816, Mary Shelley écrivit « Frankenstein ». Pour beaucoup, Napoléon avait tenu le rôle du monstre – en Grande-Bretagne, son nom était même utilisé pour effrayer les enfants rétifs. Mais ce qui mourut vraiment l’année précédente, sur les champs détrempés situés autour du Mont Saint-Jean, ce furent l’égalité des chances et les carrières ouvertes au talent. Elles furent remplacées par le non-mort, les vampires de l’ancien régime qui ne voulaient tout simplement pas déposer les armes et mourir. Cela demanda deux révolutions supplémentaires, en 1830 et 1848, pour enfoncer les derniers pieux dans le cœur du privilège.

Les éruptions ne pouvaient pas venir à un pire moment pour Napoléon. Six semaines après Tambora, soit largement assez de temps pour permettre à la poussière de se répandre à travers le globe, Napoléon examinait l’armée de Wellington sur le Mont Saint-Jean à travers la pluie battante. C’est au point culminant de l’été que l’atmosphère retient le plus d’eau et la bataille de Waterloo fut livrée seulement trois jours avant le jour le plus long – le 21 juin.

Les épouvantables pluies semblables à la mousson stoppèrent les forces françaises pendant trois heures cruciales le 18 juin, ayant déjà ralenti leur poursuite de Wellington le jour précédent. Ces heures furent critiques étant donné qu’elles permirent aux Prussiens d’arriver et de jouer leur rôle vital dans la bataille.

Différents témoignages, y compris occulaires

Jacques Logie (Louvain, 22 septembre 1938 – mort à Plancenoit dans la nuit du 3 au 4 septembre 2007, fut un homme politique, magistrat et historien belge) est très dédaigneux de tout ça dans son livre Waterloo – la campagne de 1815. Il déclare : « quelques écrivains, se basant eux-mêmes sur les déclarations du Général Drouot, expliquent ce retard en soutenant que l’état du terrain, détrempé par l’orage du jour précédent et la pluie de la nuit, n’aurait pas permis le mouvement de l’artillerie avant la fin de la matinée ». Il poursuit, révélant davantage sa position lorsqu’il dit : « la tentative de justification manque de fondement, parce que dans ses Mémoires, Napoléon reconnaissait ‘…qu’à huit heures ce matin-là, les officiers d’artillerie, qui avaient examiné l’état du terrain, assuraient que l’artillerie pouvait être manœuvrée. Encore qu’avec une certaine difficulté, laquelle serait réduite d’ici une heure.’ »6

Logie, en tant qu’apologiste affirmé de Wellington, comme il en a toujours existé de ce côté de la Manche, donne l’impression que les pluies torrentielles dues au cataclysmique Tambora n’étaient rien de plus que des orages d’été capables d’arrêter une finale de Wimbledon et servaient simplement d’excuse à la défaite de Napoléon.

Le capitaine Mercer, officier de l’artillerie britannique, qui était là lorsque les Français poursuivirent l’armée de Wellington en fuite après Ligny et les Quatre-Bras, remarque : « J’avais le désir de voir Napoléon, ce puissant homme de guerre – cet étonnant génie qui remplit le monde de sa renommée. Maintenant que je le voyais, il y avait une certaine sublimité dans cette entrevue sans pareil. Le ciel était devenu sombre depuis le matin et présentait, au moment présent, l’aspect le plus extraordinaire. D’importantes masses isolées de nuages noirs, des plus épais, presque d’un noir d’encre, avec leurs bords inférieurs fermes et dessinés d’une façon énergique, se traînaient, comme s’ils étaient sur le point d’éclater, et ils attendaient en suspension au-dessus de nous, noyant notre position et tout ce qui s’y trouvait dans une obscurité profonde et lugubre… »7

David Hamilton-Williams (auteur britannique de Waterloo : New Perspectives : The Great Battle Reappraised) décrit ce qui suit : « Au moment où Napoléon s’apprêtait à s’engager sur la route de Bruxelles à la poursuite de Wellington, les lourds nuages massés au-dessus de sa tête éclatèrent dans un violent orage qui amena des rideaux de pluie sur la scène des événements humains. Le jeu consistait en fuite et poursuite ; le gibier avait une longue avance ; mais le chasseur le poussait devant lui ; et la pluie donnait un handicap aux deux parties. »8

Logie porte Wellington aux nues, remarquant qu’il était partout à Waterloo, s’exposant au danger, et laisse entendre que Napoléon ne s’impliquait plus personnellement dans la bataille. Alors que selon Dumaine, l’un des officiers de l’artillerie de la Garde Impériale : « Il était constamment près des pièces, enflammant les artilleurs par sa présence et par ses mots, et plus d’une fois au milieu des obus et des boulets que l’artillerie ennemie faisait pleuvoir sur nous. »9

Uxbridge devait ordonner un repli britannique à Genappe : « durant cette retraite la pluie tombait à torrents accompagnée par le tonnerre et les éclairs, et les hommes et les chevaux en étaient réduits à ralentir l’allure à cause de la boue. »10 (en savoir + sur Lord Uxbridge).

Et ce n’était que le début de l’orage du Tambora.

L’obscurité vint très tôt cette nuit du 17 juin, bien trop tôt pour une nuit d’été. Cela, plus les routes qui devinrent des bourbiers, gêna les Français bien plus que les Anglais qui, à ce moment, voulaient juste s’échapper et se cacher : « la tombée de la nuit favoriserait le chassé et non le chasseur. »11

Wellington atteignit le Mont Saint-Jean et Napoléon se rendit bientôt compte qu’il avait l’intention de défendre l’emplacement. Il avait souhaité que l’Anglais adopte cette position et accepte le combat, mais sa propre armée était maintenant très étendue. Ainsi qu’Hamilton-Williams le fait bien comprendre : « Maintenant que tous les hommes de Wellington s’étaient rassemblés sur le Mont Saint-Jean, il n’y avait plus que les Français à être gênés par ce temps infect. »12

A son quartier-général du Caillou, Napoléon réalisa très vite combien de temps les orages lui avaient déjà coûté. Le sergent de Mauduit de la Garde écrivit : « Les traces étaient si profondes dans la boue après la pluie qu’il nous était impossible de maintenir quelque ordre dans notre colonne… L’un après l’autre les régiments de la Garde se présentaient, mais chacun d’eux arrivait là dans un état d’épuisement extrême. Pendant toutes les marches et contre-marches de cette nuit effroyable il y eut une réelle débandade. Les régiments, les bataillons, même les compagnies étaient en désordre… nos manteaux et nos pantalons étaient raidis par plusieurs livres de boue. Un grand nombre de soldats avaient perdu leurs chaussures et arrivèrent nu-pieds au bivouac. »13

Personne pour jouer au tennis Monsieur Logie ?

Le capitaine Fritz de la Landwehr prussienne, sur le chemin de Wavre, écrivit dans son journal : « Dans ce très mauvais temps, nous nous remettions en route le matin venu pour traverser la Dyle… »14

Et Napoléon écrivit dans ses mémoires que dans les toutes premières heures du 18 la pluie continuait de tomber à torrents : « Je retournais à mon quartier-général à la fois bien satisfait de la grande erreur que le commandant en chef de l’armée ennemie était en train de commettre et très préoccupé par la crainte que le mauvais temps ne m’empêche d’en tirer avantage. »15

Le 18 juin, à 8 heures du matin, seul le corps d’Erlon était en ligne de bataille, celui de Reille était encore en train de se positionner. Malgré la brusque fin de non-recevoir de Logie sur ce point, Hamilton-Williams rétorque que : « Quand Napoléon eut dicté ses ordres de mouvement général pour ses formations d’attaque, il les avait programmés pour 6 heures du matin. Mais plusieurs officiers s’étaient plaints que la boue épaisse et la mollesse générale du terrain nées du récent déluge rendraient très difficile le mouvement des hommes, des chevaux et surtout des pièces d’artillerie, chacune d’elles pesant plusieurs milliers de livres. »16

En outre, quelques troupes avaient bivouaqué assez loin du champ de bataille, à Genappe et Glabais, et auraient manifestement besoin de temps pour se traîner à travers la boue jusqu’à leurs positions. La propre reconnaissance du terrain par Napoléon confirma ce fait. A ce moment, la route principale était la seule voie praticable permettant d’avancer.17 Pour ces raisons, le corps de Reille ne quitta pas le Caillou avant 9 heures du matin. De cet endroit, l’Empereur dut modifier les ordres généraux à la même heure – 9 heures du matin.

Déjà, au moins trois heures avaient été perdues à cause des orages du Tambora. Ainsi Mars, le dieu de la guerre, dut-il attendre dans les coulisses pendant que Tlaloc, le dieu aztèque de la pluie, préparait la scène pour la bataille.

Il y eut des retards supplémentaires pour les raisons suivantes : « les formations ne furent pas complètes avant 10 H 30 ; la bataille commencerait tardivement dans la journée à cause de la boue et de la distance que beaucoup d’unités avaient à parcourir depuis leurs bivouacs. »18

Pour certains, la bataille de Waterloo sera toujours la plus grande victoire de Wellington et comment avec 15.000 hommes d’infanterie, 5.840 cavaliers et 2.967 artilleurs (un peu moins de 24.000 britanniques), a-t-il réussit à battre les 72.000 hommes de Napoléon ?19

« Un parapluie fermé le 18 juin 1815 ? » extrait du film Waterloo de Sergei Bondarchuk

D’autres éléments à prendre en compte

Plus objectivement, il devrait être accordé davantage d’importance au rôle joué par les soldats allemands de toutes armes et, particulièrement, à la haine pathologique que Blücher vouait à Napoléon. Ayant été mis à bas de son cheval à Ligny et presque capturé par les Français, le vieil homme voulait encore absolument honorer son engagement de fournir à Wellington au moins un corps prussien pour faire face à Napoléon. Gneisenau aurait été bien trop heureux de retourner en Prusse aussitôt que possible, jusqu’à ce que son supérieur, trempé et crotté, refasse surface.

Cela donne un non-sens à l’histoire marxiste – qui cherche à faire de l’individu quelque chose de sans aucune importance dans le plus grand ordre des choses. De la même façon, c’était le charisme particulier de Napoléon qui lui gagna le dévouement éternel de ses soldats. Et oui, les qualités de chef de Wellington méritent d’être reconnues pour sa conduite sur le champ de bataille. Mais sans les Prussiens il n’y aurait pas eu de victoire.

Une autre personne dont l’absence fut amèrement regrettée et qui aurait pu empêcher beaucoup d’erreurs du côté français, c’était Berthier, l’ancien chef d’état-major et bras droit de Napoléon. Très peu de choses sont dites sur lui aujourd’hui, alors qu’il est pourtant, et de loin, un personnage historique beaucoup plus important que bien d’autres grandes figures de l’histoire. Sans Louis Alexandre Berthier il n’y aurait peut-être pas eu d’Etats-Unis parce que ce sont ses talents militaires qui assurèrent la victoire à Washington et à ses alliés français sur les Britanniques au siège de Yorktown, en 1781. Si Berthier avait été aux côtés de Napoléon pendant la campagne de Waterloo, les Britanniques auraient fort bien pu avoir à faire face à une défaite aussi honteuse que celle de Yorktown.

La grande éruption du Tambora en 1815 et ses effets sur le climat constituent un autre élémcanon napoléonien boueent à prendre en compte dans la période préparatoire de la grande bataille qui mérite une étude complémentaire. Un rare journal appartenant à un agriculteur nommé John Andrew, du Nord-Ouest de l’Angleterre, a récemment été découvert. Il conservait un rapport détaillé des conditions météorologiques : « ‘des grêlons aussi gros que des œufs’, ‘d’énormes congères’ et ‘le ciel aussi rouge que du sang’ sont tous soigneusement consignés dans les « livres du temps » en bon état de conservation et écrits à peu près à l’époque de la bataille de Waterloo. »20

Bien que ces annotations particulières renvoient à 1816, « l’année sans été », cela indique que le changement global du climat était un phénomène réel après le Tambora. Et il ne peut y avoir
aucun doute sur le fait que les épanchements de cendres qui assombrirent l’atmosphère, affectèrent le temps au moment le plus crucial de la campagne de Waterloo.


Cet article a été traduit par l’historien Pascal Cazottes. En 2010, la Société Napoléonienne Internationale de Ben Weider souhaita le faire publier dans un magazine français, mais un certain directeur d’une fondation bien connue dans cette sphère a fait un « blocus »… Cette même année, un volcan islandais s’était réveillé, et tous les vols à travers l’Europe avaient été suspendus pendant plusieurs jours.


Documentaire du Tambora


NOTES ET BIBLIOGRAPHIE

1. Voir la carte du Mont Tambora et de plus amples détails sur Wikipedia.

2. Ibid., Wikipedia. Voir également l’article sur Physical Geology 2005 Tambora, l’année sans été.

https://www.researchgate.net/publication/223441162_The_petrology_of_Tambora_volcano_Indonesia_A_model_for_the_1815_eruption

3. Steven Cary de l’Université de Rhode Island, cité dans un programme de la BBC « EARTH AND LIFE », une série d’émissions Open University, dans un épisode appelé « au sujet du volcan » (1997).

4. Byron cité dans Tambora, l’année sans été, comme ci-dessus.

Lien Météo 1816 & Culture Volcan les 200 ans de l’éruption.

5. Voir Wikipedia et Physical Geology comme ci-dessus.

6. Jacques Logie Waterloo The 1815 Campaign (Stroud, Angleterre, Spellmount 2003) 171.

7. Cité dans David Hamilton-Williams Waterloo New Perspectives (London, Arms and Armour Press, 1993) 251-252 (mes italiques).

8. Ibid., 252. 9. Ibid., 253. 10. Ibid., 253. 11. Ibid., 253. 12. Ibid., 254 (mes italiques). 13. Ibid., 254 (mes italiques). 14. Ibid., 255. 15. Ibid., 258. 16. Ibid., 261. 17. Ibid., 261 (mes italiques). 18. Hamilton-Williams op.cit., 265.

19. Ibid., p. 268. Voir aussi David Chandler The Campaigns of Napoleon (London, Weidenfeld & Nicolson, 1966) plan 1070-1071. Il donne à Napoléon 71.947 hommes.

20. Université de Lancaster Angleterre – LU News 19th Century Weather Diaries Shed Light on Climate Change – Dr Rob Mackenzie, Deborah Lee et Christine Valentine. Voir l’Université de Lancaster.

BIBLIOGRAPHIE

1. David Chandler The Campaigns of Napoleon (London, Weidenfeld & Nicolson, 1966). 2. David Hamilton-Williams Waterloo New Perspectives (London, Arms and Armour Press, 1993). 3. Jacques Logie Waterloo The 1815 Campaign (Stroud, Angleterre, Spellmount 2003).