Napoléon, sauveur de Sainte-Hélène

Les médias britanniques l’ont surnommé « l’aéroport le plus inutile du monde », et l’un d’eux le voit comme un des « fiascos les plus farfelus que son journal (Mail on Sunday) ait révélés » au contribuable britannique. Cet aéroport, aboutissement d’un projet qui remonte aux années 30, c’est celui de l’île de Sainte-Hélène, qui s’est ouverte aux vols commerciaux le 14 octobre dernier, mettant ainsi un terme à la liaison maritime assurée en cinq jours par le bien sympathique cargo fret-passagers « RMS St Helena ».

ÇA PEUT-ÊTRE DANGEREUX !

Sainte-helene-Napoleon-aeroport

Mais les « Saints » – c’est le nom des quelque 4 200 habitants – eux, ne voient pas cet aéroport comme le plus inutile du monde, bien au contraire, car il a déjà permis plusieurs évacuations sanitaires.

En fait, tout – piste et terminal – était achevé et prêt depuis l’année dernière, mais l’inauguration officielle, qui devait avoir lieu au mois de mai 2016, avait été repoussée d’une année (dix-huit mois dans les faits) : les vols d’essai avaient été méchamment secoués par de violents vents croisés qui rendaient la piste dangereuse pour les avions de grande capacité.

Ainsi, du fait des restrictions de poids imposées à l’appareil, sur les cent sièges disponibles sur le vol inaugural, soixante-huit seulement étaient occupés.

Un journaliste anglais, découvrant Sainte-Hélène de l’avion, écrit que l’île est « lugubre et inquiétante », et il fait sienne cette interrogation prêtée à Napoléon, débarquant le 15 octobre 1815 : « L’homme peut-il vraiment vivre ici ? ». Aussi écrit-il qu’il s’estime heureux de résider dans un hôtel tout neuf, et de… repartir le lendemain !

L’ILLUSION TOURISTIQUE

Cottage - vent sainte helene-Napoleon

Sur le plan touristique, que peut attendre de son nouvel aéroport cette île du bout du monde, lugubre de l’aveu même d’un Britannique ?

Les capacités hôtelières sont passées d’une douzaine de chambres à une centaine, la fréquentation touristique culminant actuellement à quelque 1 500 visiteurs par an, pour une capacité de l’ordre de 3 500. Les services officiels de tourisme, eux, en espèrent quelque 30 000 dans l’avenir. Mais cela semble bien mal parti.

Les îliens sont plus circonspects, comme le rapporte l’envoyé spécial du journal :

Ceux à qui j’ai parlé doutent fort que l’envol touristique espéré se produise : “C’est une grande île, mais il est encore très difficile et coûteux d’y arriver, explique l’un d’eux”

Un autre renchérit :

La construction de l’aéroport a donné du travail à beaucoup de gens, mais je ne vois pas le tourisme nous entretenir.

Les faits semblent leur donner raison.

Ainsi, les investisseurs ne se bousculent pas sur le rocher : les responsables du tourisme de Sainte-Hélène avaient lancé une opération pour financer la construction d’un hôtel de luxe.

Montant attendu : 120 millions de livres ; montant atteint : 6 millions !

Ce n’est donc pas demain que le Trésor britannique fera l’économie des 53 millions de livres qui sont, chaque année, versées à Sainte-Hélène, et rentrera dans les 285 millions de livres qui ont été englouties par l’aéroport.

En outre, le reporter souligne que le problème crucial des vents traversiers – « impétueux », notait Darwin en 1836 – rend, et rendra, toujours aléatoire une liaison régulière entre Johannesburg et Jamestown. Ce qui empêchera les gros porteurs de se poser et de débarquer leurs centaines de passagers en une seule fournée.

Si l’Empereur a déserté l’île, sa tombe, vide, dans la féerique « Vallée du Géranium » (aujourd’hui « Vallée du Tombeau ») reste un lieu de pèlerinage et d’émotion, ou de simple curiosité, selon la sensibilité de chacun.

DE SOMBRES FANTÔMES PAR MILLIERS

Ghostbuster-Napoleon

En revanche, les 6 000 et quelques prisonniers faits pendant la guerre des Boers au début du XXème siècle, et morts ici, sont toujours bien présents.

Mais ce ne sont pas eux qui vont attirer les foules, et il serait surprenant que la Gouverneure de l’île, Mrs. Lisa Philips, tienne à appeler l’attention des touristes sur ces sombres fantômes d’un passé peu glorieux, qui a vu la création, à l’instigation de Lord Kitchener, commandant en chef des troupes britanniques en Afrique du Sud, et de Lord Roberts, des premiers camps de concentration.

À ce sujet, et puisque l’occasion m’est donnée d’évoquer un sujet hautement tabou, je recommande vivement à tous ceux qui voient en Napoléon le « précurseur d’Hitler » (n’est-ce pas M. Ribbe, et quelques autres ?) de rechercher le nom : Lizzie van Zyl.

Je n’en dis pas davantage, sinon mes détracteurs habituels pourraient m’accuser, comme ils l’ont fait sur un site napoléonien, aujourd’hui fermé, d’anglophobie « hystérique ».

L’île est réputée pour sa nature sauvage – mais on peut trouver aussi bien sans aller si loin –, les journaux évoquent aussi la plongée sous-marine, mais on peut faire la même remarque.

RESPECTEZ L’ILLUSTRE EMPEREUR 

Alors, que reste-t-il ?

Napoléon.

Lui seul, et la sinistre saga de son calvaire, œuvre du gouvernement anglais – ce n’est pas de l’anglophobie, mais une réalité historique reconnue – peuvent faire venir des touristes férus d’histoire sur ce caillou du bout du monde, perdu au milieu de nulle part, dans l’Atlantique.

Même si les exposés faits par les guides sont honnêtes, ce dont on peut légitimement douter, beaucoup se laisseront prendre par le côté « chic cottage » anglais de ce qui ne fut pas autre chose qu’une prison, car rien ne pourra leur faire prendre conscience qu’à l’époque Longwood était un cloaque sordide, infesté de rats.

Parce que la France sur laquelle il régnait faisait de l’ombre à son commerce, le gouvernement anglais de l’époque a combattu, par puissances interposées, cet homme sans relâche pendant quinze années, et après qu’il eut été enfin abattu, il l’a déporté sur ce caillou maudit, où, pendant près de six années, enveloppé dans une humidité qui régnait en maîtresse, rongeant les êtres et les choses, il s’est consumé dans l’ennui et la mesquinerie de son entourage, espionné vingt-quatre heures sur vingt-quatre par les soldats aux ordres de celui que le directeur de la Fondation Napoléon voit « gérant en bon père de famille » (ce trait original peut plaire aux observateurs !) – j’ai nommé Sir Hudson Lowe – le budget alloué pour la garde de l’illustre déporté.

Alors – mais ceci ne s’adresse pas aux habitants de l’île – si vous comptez aujourd’hui sur lui pour faire tourner la machine à touristes, en d’autres termes, si vous voulez que votre île continue de vivre de lui, respectez-le.

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