Paul 1er, cible des Tories

Voici, ci-dessous, ce que les lecteurs du magazine « Valeurs » (ex-Actuelles ») ont pu lire dans le dernier numéro paru (n° 4240). Pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, j’ai fait une capture du sous-titre de l’article intitulé : « Quand le roi fait assassiner le tsar » (Tsar Paul 1er).

Alors, regardez-le bien, ce sous-titre, car vous lisez rarement, pour ne pas dire jamais, ce genre de phrase, si ce n’est sur le site du « Carré Impérial », et que vous pourriez lire dans certains manuscrits… censurés.

En ouverture, une toile, pas celle du bien connu général baron Lejeune, mais du moins célèbre Jacques-Augustin Pajou (1 – se référer en bas de page). En ce qui me concerne, c’est bien la première fois que je lis semblable titre – « provocateur » – dans la grande presse. Il s’agit d’un article exceptionnel par sa rareté dont l’auteur est l’un des présidents du comité éditorial du magazine, François d’Orcival.

Peu de temps auparavant, ce même magazine avait publié un article intitulé « Le Mémorial de Sainte-Hélène – Chef d’œuvre de Propagande ». J’avais été atterré de voir un magazine d’une telle tenue intellectuelle dans lequel la France est célébrée – et Napoléon, c’est quand même, j’ose l’écrire, la France – laisser publier un tel article. On y découvrait le « Pape de la Napoléonie » au plus haut de sa forme, en train de démolir, de dégrader avec son obstination accoutumée et des arguments lamentables, un des fondements de l’histoire du Premier Empire, jusque-là respecté, fût-ce avec les réserves habituelles à ce genre d’œuvre.

C’était dépasser les bornes. On barbotait dans du « Libération » de bas étage, ou dans du « Nouvel Obs ». J’envisageais même très sérieusement de cesser de lire ce magazine, quand, miracle !, ce numéro est sorti ! À n’en pas croire mes yeux.

ESPIONS ANGLAIS EN FRANCE

GeorgeIII-espion-napoleon - Guerres de Napoléon

Le 14 juin 1800, rappelle l’auteur, au moment où la bataille s’engage, le général Bonaparte, Premier Consul, n’est au pouvoir que depuis six mois, et il souligne son extrême fragilité en cas de défaite : les royalistes n’ont pas abandonné l’espoir de revenir au « droit divin ». À l’extérieur, les ennemis de la République française sont l’arme au pied pour tuer dans l’œuf ce renouveau que l’Angleterre tient pour une menace.

Dans ces ennemis, on compte des Français : les émigrés du prince de Condé et du duc d’Enghien, et un général ex-républicain, Pichegru (2 – se référer en bas de page), héros des guerres de la Révolution, tombé en royalisme. Les monarchies étrangères : Angleterre, Russie, Prusse, ont tous donné asile à ceux qui souhaitent le retour du prétendant officiel, le futur Louis XVIII, présentement hébergé par le tsar Paul 1er à Mittau (aujourd’hui Jelgava, en Lettonie).

On complote à qui mieux mieux pour se débarrasser de cet homo novus malfaisant, enfanté par cette détestable Révolution. Pas question de retrouver une France en pleine forme économique, car ce corps exsangue agréait les Conservateurs anglais. Commerce, commerce. Au-dessus d’eux, tournoyait une sorte d’oiseau de mauvais augure : William Wickham, ancien sous-secrétaire d’État au Home Office, dans un rôle qui serait de nos jours celui d’un chef des services de renseignement.

Pour bien comprendre ce que représente cette menace, il faut prendre connaissance des propos de Mrs Elizabeth Sparrow, auteur de « Secret Service : British Agents in France, 1792-1815 » (3 – se référer en bas de page). En faisant des recherches sur l’histoire des Cornouailles, elle raconte qu’elle fit la connaissance d’un ancien agent du SOE (4 – se référer en bas de page), qui lui révéla l’existence d’un réseau d’espionnage anglais opérant en France à la fin du 18è siècle et au début du 19è. L’ex-agent lui avait expliqué que les ordres reçus directement du cabinet du Premier Ministre, donc de Winston Churchill, étaient de « faire à l’Europe [occupée] ce que Pitt avait fait à la France avant 1807. »

No comment, je pense (5 – se référer en bas de page).

EN RÉPONSE À MARENGO, UN ATTENTAT !

Attentat-Paris-Napoleon
Attentat de la rue Saint Nicaise à Paris, pour Noël…

Un peu comme Austerlitz sera l’acte de naissance – involontairement guerrier, car ce n’est pas Napoléon qui déclencha les hostilités – du Premier Empire, Marengo, bataille emblématique de la deuxième Campagne d’Italie, fut celui du Consulat. De l’autre côté de la Manche, on attendait évidemment beaucoup de cette confrontation : bien sûr une défaite du général Bonaparte, et, mieux encore si possible, son élimination, physique. La disproportion des forces en présence (environ 30 000 contre 22 000) autorisait tous les espoirs. Après une première partie qui vit les troupes républicaines au bord du désastre, l’arrivée de la division du général Desaix (qui trouva la mort) rétablit la situation. À la fin de l’après-midi, les Autrichiens étaient laminés,

Raté ! Tout était à refaire sans tarder.

La mort n’ayant pas voulu de la bête noire des Anglais, la fine équipe des conspirateurs – on pourrait presque parler d’« association de malfaiteurs » – reprit ses menées criminelles.

Le combat ? Trop aléatoire.

Alors, pourquoi pas un bon attentat bien lâche ?

Modus operandi ?

On fera sauter une charge de poudre au passage de la voiture du trouble-fête. Les victimes collatérales ? Broutille, c’est pour la cause (commerciale). Le 24 décembre 1800, alors que Bonaparte se rendait à l’Opéra (situé, en ce temps, sur l’emplacement de l’actuel square Louvois, en face de la vénérable Bibliothèque Nationale), un baril de poudre placé sur une charrette explosa, mais trop tôt, car les « poseurs de bombe » royalistes avaient mal programmé la combustion de la mèche. Le Premier Consul sortit indemne, mais, alentour, régnait l’enfer. Bilan (approximatif, car les chiffres varient suivant les sources) : une douzaine, on dit parfois une vingtaine de morts, dont la petite fille à qui, par une délicate attention, l’un de ces terroristes du roi de France et d’Angleterre, véritables précurseurs de nos modernes poseurs de bombe, avait donné à tenir la bride du cheval attelé à la carriole supportant la charge de poudre, et une cinquantaine de blessés, mutilés pour la plupart.

De la « belle ouvrage » !

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Carrramba !… Encore rrraté ! (6 – se référer en bas de page).

Quitte à avoir mauvais esprit, et au risque de faire de la peine à quelqu’un que nous aimons tous, au « Carré », ces conspirateurs me font irrésistiblement penser aux Pieds-Nickelés. Je crois que l’on peut affirmer sans grand risque d’erreur que c’est de cet échec lamentable (et heureux !) que date la gestation de ce que l’on connaîtrait bientôt sous l’appellation « tordue » de guerres napoléoniennes. On n’avait pu éliminer l’homme qui refaisait de la France une redoutable rivale de l’Angleterre ? Eh bien, qu’à cela ne tienne, on mettrait son pays à genoux, et lui avec. Il suffirait de payer des mercenaires pour le faire.

PROCHAINE CIBLE : LE TSAR PAUL 1er

Tsar-Paul-Russie

Bien loin de la rue Saint-Nicaise, un autre homme, lui, n’avait plus longtemps à vivre. C’était le tsar Paul 1er (7 – se référer en bas de page). Naguère, farouche adversaire de la Révolution française et de ses divers avatars, dont Bonaparte, il s’était pris d’admiration pour le Premier Consul, à la fois pour le soldat vainqueur, et pour l’administrateur qui avait pris à bras-le-corps la remise sur pied d’un pays ravagé. Il était même question de monter une expédition conjointe pour… envahir les Indes. Les Indes, cœur du commerce et de la prospérité britanniques ! C’eût été la fin des Pitt et autres va-t-en-guerre économiques. Une chance pour la France pour reprendre l’expression d’un ancien ministre à propos d’un autre sujet, et a fortiori pour l’Europe. Il n’y aurait pas eu de « guerres napoléoniennes ». Le psychanalyste Gérard Miller (cf. article : « Fake news en tous genres ») et quelques autres n’auraient pu se répandre en hypocrites jérémiades cathodiques sur les incontournables (adjectif « branché !) « deux millions » de morts.

Par ce projet, le tsar Paul signait son arrêt de mort.

Cette mort survint sous le masque de quelques tueurs, des « fidèles » de son entourage, dans la nuit du 24 mars 1801. Parmi eux, le futur vaincu d’Eylau et de Friedland, le général d’origine hanovrienne Bennigsen.

L’OMBRE DES TORIES

Des responsables dont la Fondation Napoléon ne parle jamais.

Les mauvaises langues (pas si mauvaises d’ailleurs) affirment que Lord Whitworth, ambassadeur de Grande-Bretagne en Russie, ne fut pas étranger à cet assassinat. La mort de Paul marqua l’entrée, sur la scène diplomatique du temps, de son fils Alexandre (8 – se référer en bas de page). Dès lors, Londres n’eut plus rien à craindre du souverain russe, qui resta sous haute surveillance.

Quant au Premier Consul, il ne fut pas long à comprendre d’où le coup était parti :

Les Anglais m’ont manqué à Paris le 3 nivôse [attentat meurtrier de la rue Saint-Nicaise] ; ils ne m’ont pas manqué à Saint-Pétersbourg.

Même son de cloche chez Louis XVIII, qui déclara que Paul 1er avait été victime d’une « conspiration de palais où se trouvèrent l’or et la main du gouvernement britannique. »

Lorsque l’on a lu cet article essentiel de « Valeurs », et plus encore, l’ouvrage d’Elizabeth Sparrow, on ne peut qu’adhérer à cette évidence jamais dite, à cette vérité étouffée : ce sont bien les ministres conservateurs anglais, et au premier chef, William Pitt (9 – se référer en bas de page) qui sont les vrais responsables des centaines de milliers de victimes que l’on impute à Napoléon.

À nous de lui rendre justice.


1 – Jacques-Augustin Pajou. 1766-1828. Engagé en 1792 pour défendre la « Patrie en danger », il se retrouve dans la « Compagnie des arts de Paris » qui compte dans ses rangs le gratin des artistes de l’époque : le sculpteur Jacques Lemercier, capitaine ; le sculpteur, ancien pensionnaire de la Villa Médicis et prix de Rome, Jean-Baptiste Franceschi, sous-lieutenant de hussards, mieux connu dans l’armée sous le nom de Franceschi-Delonne, le célèbre peintre et futur officier du génie et aide de camp du maréchal Berthier, Louis-François Lejeune. Sans faire injure à l’immense talent de ce dernier, c’est une très bonne initiative d’avoir illustré l’article avec l’œuvre d’un artiste aussi talentueux que lui, mais infiniment moins connu.

2 – 1761-1804. Arrêté pour avoir participé à la conspiration de Cadoudal, on le retrouva mort étranglé dans sa cellule. Bonaparte fut bien entendu accusé de l’avoir fait assassiner. Sa routine !

3 – Comme le souligne l’auteur de l’article, ce livre est indispensable à quiconque veut prendre la mesure de la malfaisance des politiciens anglais de ce temps et de leur responsabilité dans les soubresauts sanglants de l’époque.

4 – « Special Operations Executive ». Fondé en 1940 par Winston Churchill, ce service anglais ultra secret de renseignement et d’action avait pour mission de soutenir les divers mouvements de résistance dans l’Europe occupée.

5 – Certains lecteurs me reprochent parfois une certaine anglophobie. Pour des raisons personnelles, je ne le suis pas, mais je déteste les ministres anglais de ce temps, Pitt, notamment. Ces lecteurs font une confusion entre l’admirable Angleterre des années 40 et celle de 1815. Mais je ne pense pas que ces Messieurs de la Fondation, qui ne manquent pas de me faire le même reproche et de m’en punir n’ont pas, eux, l’excuse de l’ignorance. Cela ressemble fort à de la dissimulation volontaire sérieusement dosée de désinformation assumée. La routine !

6 – Pour les « fans » de Tintin (dont je suis), réplique « culte » tirée de l’album « L’Oreille Cassée ».

7 – Selon les critères de ce temps, et particulièrement ceux qui avaient cours en Russie, Paul 1er était un dangereux excentrique. Détestant les nobles et s’en méfiant, il avait rétabli pour eux les … châtiments corporels, alors que, un comble, pendant la première partie de son règne, il s’était efforcé de limiter le temps de travail des serfs à trois jours pour leur maître, et avait interdit le travail le dimanche et les jours de fêtes religieuses.

8 – Voici, vu par Léon Bloy dans son très corrosif ouvrage, « L’âme de Napoléon », le nouveau tsar Alexandre 1er : « De toutes les erreurs de Napoléon, après celle de Bayonne, la plus lourde et la plus durement expiée fut de se laisser prendre aux sourires et aux caresses de ce Byzantin qui ne fut pas un jour sans le trahir, dont l’amitié pleine d’enthousiasme fut un mensonge grec imperturbablement soutenu pendant quatre ans jusqu’au jour où l’Angleterre, impatientée de ce roman, le contraignit à se déclarer ce qu’il était en réalité : un ennemi implacable. »

9 – Jugement de Napoléon sur le personnage : « D’abord, les premières étincelles de notre Révolution, puis toutes les résistances au vœu national, enfin tous les crimes horribles qui en furent la conséquence sont son ouvrage. Cette conflagration universelle de vingt-cinq ans ; ces nombreuses coalitions qui l’ont entretenue ; le bouleversement, la dévastation de l’Europe ; les flots de sang des peuples qui en ont été la suite ; la dette effroyable de l’Angleterre qui a payé toutes ces choses ; le système pestilentiel des emprunts, sous lequel les peuples demeurent courbés ; le malaise universel d’aujourd’hui, tout cela est de sa façon. La postérité le reconnaîtra ; elle le signalera comme un vrai fléau : cet homme tant vanté de son temps, ne sera plus un jour que le génie du mal… Mais ce que la postérité reprochera surtout à M. Pitt, ce sera la hideuse école qu’il a laissée après lui ; le machiavélisme insolent de celle-ci, son immoralité profonde, son froid égoïsme, son mépris pour le sort des hommes ou la justice des choses. » Quitte à faire de la peine à certains, je ne vois pas un seul mot à retrancher. Tout est vrai, même si ce n’est jamais dit.

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