Sacré secret sur Napoléon

La bande-annonce que j’avais regardée m’avait suffi (Secrets d’Histoire intitulée “Comment devient-on Napoléon? présentation de Stéphane Bern). Cela fleurait la démolition et la supercherie. Le texte musclé de Kaspy démontre, s’il en était besoin, que je ne m’étais pas fourvoyé (cf. ma précédente réaction).

Qui pouvait avoir la naïveté d’imaginer un seul instant que l’on pût nous proposer un document sérieux, ce qui ne sous-entend nullement rébarbatif, sur Napoléon.

Dans son vigoureux commentaire, Kaspy le dit magistralement :

il était plus gratifiant en termes d’audience de parler de c..

Et ça, c’est bon pour l’audimat, Coco, selon l’expression en vigueur dans les médias – que de la remise en ordre de marche, de la résurrection par le Premier Consul d’un pays ravagé par la Révolution, la Terreur et le Directoire. Sans parler de l’œuvre entière réalisée sous l’Empire, dont les bienfaits se font toujours sentir de nos jours.

Non. Aucun intérêt.

Alors, pour donner un peu de piment à cette histoire fade et flatter le côté égrillard d’une partie du public, une bonne louche de bassesse, de salace, de graveleux qui frappe les imaginations et se retient durablement, voilà qui était bon pour l’éducation des foules.

Je n’ai donc pas regardé l’émission de France 2, mais puisque le « Carré » m’a transmis quelques-unes (quelques-unes seulement) des perles proposées aux téléspectateurs, je prends la liberté de donner mon sentiment sur ces seuls points.

LES PERLES

De l’un des participants, l’historien et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Patrice Gueniffey :

Chez Napoléon, la passion amoureuse est associée au plaisir de faire la guerre, autant il aime Joséphine, autant il aime faire la guerre, ces deux passions se mélangent.

Interprétation possible : après avoir fait (ou essayé de faire, on verra plus bas) furieusement l’amour avec sa chère Joséphine – il saute dans ses bottes, puis sur son destrier, et court à la bataille, enfiévré de plaisir à l’idée d’un bon carnage bien sanglant, dont il est, bien sûr, le seul responsable, « guerres napoléoniennes » obligent. Il revient ensuite se lover dans la couche de l’Impératrice pour mitonner une nouvelle tuerie.

Propos étonnant de la part de cet historien. Plus étonnant encore, il est encensé sur un site napoléonien bien connu, ce qui montre qu’une fois adoubé par les « Instances », on peut se permettre bien des choses. Et qu’importe l’image qui est donnée de Napoléon !

D’un autre :

Napoléon n’était pas franchement admirablement équipé génitalement parlant », et il évoque « cette atrophie sexuelle », qui lui faisait « courir la gueuse sans arrêt.

« Génitalement » : je n’ai pas trouvé dans mon dictionnaire. Pas assez branché, peut-être.

Du même :

Marie Walewska s’évanouit et Napoléon la viole ; c’est un viol ni plus, ni moins.

Excellent ! Voilà que l’homme qui « n’était pas franchement admirablement équipé génitalement parlant » se jette sur une malheureuse femme évanouie à sa vue, et lui fait subir les derniers outrages ! Un regain de vigueur qui a dû lui venir en constatant que, du fait de son malaise, cette pauvre fille serait incapable de se gausser de la modestie du membre impérial. Un peu « maso » tout de même, la Marie, car, en 1807, et quoique certainement traumatisée par l’épreuve, elle suivit et vécut avec son violeur qui s’était installé dans le château de Finckenstein après la bataille d’Eylau, épisode sanglant de la 4ème Coalition.

Allez, à quand un Napoléon nécrophile ? On n’est plus à ça près !

ENFONCER UN PEU PLUS NAPOLÉON

Comment des historiens napoléoniens, volontiers suffisants et donneurs de leçons, peuvent-ils, sans réagir, laisser passer sur une grande chaîne de télévision des propos aussi insultants et vulgaires sur – c’est indécent, je sais, mais j’ose – le plus grand homme de l’histoire de notre pays ?

Les commémorations de Waterloo approchant, peut-être convient-il d’enfoncer Napoléon encore un peu plus avant l’humiliation festive – et commerciale : frites, bière, saucisses et gadgets à gogo – programmée pour le 18 juin prochain, et de le faire passer une ultime fois – car, passé le bicentenaire, le sujet sera bien moins « juteux » – pour une brute malfaisante, et, en outre, un obsédé sexuel sous-équipé, comme cherche à nous en convaincre l’auteur de cette révélation.

Ainsi « habillé » et souillé pour l’éternité, ne serait-il pas alors possible de l’éjecter avec bonne conscience des manuels scolaires, et le faire sortir de la mémoire collective, déjà bien faible, de la France.

Cela fait d’ailleurs un bon moment que le mouvement est amorcé. Interprétation toute personnelle sans doute, mais pourquoi me refuserais-je cet exercice que certains se permettent, et qui en vaut bien d’autres ?

Et moi, au moins, je n’attente pas à la mémoire de Napoléon.

DEUX VEDETTES DE LA NAPOLÉONIE

Il eût été fort décevant que les idées fixes des deux emblématiques « vedettes de la napoléonie », MM Tulard et Lentz, ne fussent pas offertes au grand public.

Le premier, crevant l’écran, nous a resservi son antienne favorite : « Surprise et propagande, voilà le génie de Napoléon ! ».

Évidemment. Ça ne se discute pas, car il va de soi qu’une victoire comme Austerlitz n’est rien d’autre que l’effet d’une propagande magistrale.

Quant au second, je n’ai pas été déçu. Comme je m’y attendais, il a enfourché un de ses « dadas » habituels, l’empoisonnement de Napoléon :

« Il y a une grande controverse sur l’empoisonnement, elle est balayée par un document incontestable qui est le rapport d’autopsie rédigé par le docteur Amtommarchi. La cause ? Un ulcère à l’estomac qui tourne en cancer, dû à un état de faiblesse très grand et une mauvaise médication dans les derniers jours, mais on n’en est pas sûr, Napoléon serait mort de toute façon. »

Pas de contradicteur – il est vivement conseillé de s’abstenir si l’on veut continuer à être invité – donc, victoire facile, mais peu glorieuse. Éliminer les gêneurs, c’est un peu la marque de la maison.

Et le public, conquis, subjugué, et… ignorant, ne put que souscrire à ce verdict sans appel.

Petite parenthèse : cette citation m’a remis en mémoire une phrase du même à propos de cette affaire d’empoisonnement, dans laquelle il désignait dérisoirement l’arsenic sous l’appellation plaisante de « poudre de perlimpinpin ». Un joli souvenir !

Loin de moi l’idée de le vouloir contrarier, mais, dans un souci d’élémentaire honnêteté, je crois utile de rappeler au directeur de la Fondation Napoléon ce passage, apparemment oublié, d’une préface écrite par M. Marcel Dunan pour présenter les « Cahiers de Sainte-Hélène, Janvier 1821-Mai 1821 » du Grand Maréchal Bertrand, compagnon de déportation de Napoléon à Sainte-Hélène.

Voici ce passage : « Le docteur Guy Godlewski … nie la nocivité du climat et écarte par des arguments tirés du développement des tissus graisseux, l’idée d’une affection cancéreuse… ».

N’y a-t-il pas de quoi s’y perdre ?

Ce qui, par la suite, n’empêcha pas ce même Dr Godlewski, devenu président du Souvenir Napoléonien, de tirer à boulets rouges sur la thèse de l’empoisonnement de Napoléon pour prôner celle de ce …cancer dont il niait l’existence.

CONCLUSION

Pour conclure ces quelques réflexions, il m’apparaît que, jusqu’alors, je m’étais fourvoyé au sujet de Napoléon. Stupidement, je pensais que l’œuvre colossale accomplie en seulement quinze ans était sortie d’un cerveau prodigieux. J’ai enfin pris conscience de mon erreur.

Cette œuvre n’est en fait que celle d’un individu affublé d’une petite… – je ne dis pas le mot – et qui, complexé par cette disgrâce de la nature, s’est lancé à corps perdu dans les emblématiques guerres napoléoniennes et a ravagé l’Europe, trouvant, dans des carnages sans fin, un exutoire à ses complexes.

Et ça, c’est un sacré « secret d’histoire ».

2 Comments

  1. Sophie Desestoiles 16/06/2015 at

    Bravo Monsieur pour votre analyse sur les propos volontairement diffamatoires de cette émission faite pour salir la mémoire de l’Empereur… Vous faites bien de corriger le tir.
    Mais hélas, vous savez comme moi que l’audience fait l’impact et que les média officiels distillent ce genre de propagande nauséabonde depuis des lustres.. au point que nos compatriotes ont souvent une image négative de Napoléon, faute d’avoir véritablement étudié l’Histoire et en raison de ces émissions télévisuelles et de la faiblesse de l’enseignement de l’Histoire dans les programmes scolaires.

    Je partage, en remerciement, l’article que je viens de rédiger :
    L’esprit des lieux

    Voici une page du livre de Sylvain Tesson Bérézina que je suis en train de lire et qui me plaît pour la souplesse joyeuse et déliée de son style et la finesse de certaines réflexions sur l’Histoire et sur l’esprit des peuples et l’esprit des lieux.

     » Le spectacle de cette vallée nous aimantait. Nous restions sous la neige et aucun de nous n’osait faire un pas. Des paysans haranguaient un cheval sur un chemin tout proche. Ils passèrent à notre hauteur, assis sur une carriole. La neige embellissait l’orée des forêts et atténuait le tintement des grelots. Le cheval donnait un air antique au paysage. L’attelage disparut dans le grésil. Gras me toucha le bras :

     » Ici, c’est un haut lieu, vois-tu.

    _ Qu’est-ce qu’un haut lieu ? lui dis-je.

    _ Un haut lieu, dit-il, est un arpent de géographie fécondé par les larmes de l’Histoire, un morceau de territoire sacralisé par une geste, maudit par une tragédie, un terrain qui, par-delà les siècles, continue d’irradier l’écho des souffrances tues ou des gloires passées. C’est un paysage béni par les larmes et le sang. Tu te tiens devant et, soudain, tu éprouves une présence, un surgissement, la manifestation d’un je-ne-sais-quoi. C’est l’écho de l’Histoire, la rayonnement fossile d’un événement qui sourd du sol, comme une onde. Ici, il y a une telle intensité de tragédie en un si court épisode de temps que la géographie ne s’en est pas remise. Les arbres ont repoussé, mais la Terre, elle, continue à souffrir. Quand elle boit trop de sang, elle devient un haut lieu. Alors il faut la regarder en silence car les fantômes la hantent. »

    Puis l’auteur précise un peu plus loin qu’il distingue plusieurs sortes de hauts lieux: les hauts lieux spirituels, géographiques, les hauts lieux du souvenir, etc…

    J’ajouterai à cette profonde analyse de Sylvain Tesson, que les fantômes de l’Histoire sont souvent les humains d’aujourd’hui, qui ne se souviennent plus vraiment, sauf rares exceptions , de leurs incarnations passées, mais qui retournent inconsciemment sur les lieux où ils ont vécu ces événements terribles… la mémoire inconsciente les emplit et les anime, sans qu’ils le comprennent clairement. Gageons que le 18 juin prochain dans les plaines de Waterloo beaucoup de ceux qui viendront se recueillir, ne feront que revenir sur la scène du drame qu’ils vécurent il y a deux siècles.

    Ces pensées sont hardies, je sais, cependant je les publie…

    Sophie Desestoiles, le 16 juin 2015

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  2. Jean-Claude Damamme 23/06/2015 at

    Je vous remercie, Madame, de votre réaction que je découvre seulement aujourd’hui.
    Elle m’a permis de prendre connaissance de cet extrait du livre de Sylvain Tesson, que, je le souligne, je n’ai pas lu. Sans doute, maintenant, vais-je le faire.
    Cette phrase, notamment, est très belle : « Quand [la Terre] boit trop de sang, elle devient un haut lieu. Alors il faut la regarder en silence car les fantômes la hantent. »
    C’est la raison pour laquelle j’étais – et suis encore – fondamentalement hostile à ce genre de manifestation comme celle de Waterloo.
    D’abord, parce qu’elle n’a été si bien organisée que pour célébrer – le mot fait mal – la défaite et la chute (programmée depuis longtemps) de Napoléon, donc de la France, ensuite, parce que je n’oublie pas que, sous cette herbe foulée par des milliers de figurants, reposent encore en secret quelques centaines (?), milliers (?) d’hommes qui n’ont pas été relevés.
    Le public a assisté à un spectacle, réussi sans doute, mais dont la dimension tragique en terme d’humanité lui a échappé. Circenses… Et il est content. Moi pas.
    Votre commentaire, Madame, est émouvant et beau. Je vous en fais mon compliment.

    Jean-Claude Damamme
    Représentant pour la France de la Société Napoléonienne Internationale de Montréal

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