Songes de Sainte-Hélène

Sainte-Hélène, un de ces rochers volcaniques perdus au milieu de l’Atlantique sud, escale incontournable de la route des Indes, et geôle où s’est éteint « le plus puissant souffle de vie qui anima jamais l’argile humaine… » Allez, osons reprendre cette parole de Chateaubriand qui, je ne doute pas, mettra de l’émotion aux lecteurs avertis et novices.

De 1815 à 1821, Napoléon passa donc les dernières années de sa vie, et pour témoigner cette période bicentenaire, le musée de l’Armée avait exposé en 2016, près de 240 œuvres, objets et documents relatant son exil et la légende napoléonienne. Une occasion rare qui permettra d’aborder l’île forteresse de la perfide Albion, de retrouver l’ambiance d’époque, et de commencer à suivre les pas de l’Empereur philosophe…

ESCALE EN BORD DE SEINE

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Nous avions fait escale à la cour d’Honneur des Invalides, un après-midi d’été. L’imposante statue de bronze du célèbre stratège, placée à l’étage, veillait en silence au moindre mouvement. Accueillis par une estafette du général, nous entrions dans les couloirs du temps… Au passage de la ligne « de l’exposition », une vidéo sur grand écran nous transportait à bord du « Bellérophon »- enfin, c’est ce que nous imaginions, ça flottait en tout cas… Puis à l’horizon, les rayons du coucher de soleil laissaient apparaître cette terre sombre et mystérieuse… Pied à terre, un « MIB » – comprenez un Mamelouk In Black – faisait encore du service de sécurité, prêt à bondir à chaque son strident des alarmes. L’heure était venue de poser le havresac de la vieille Garde parmi les reliques, lui aussi avait besoin de repos, après tant de cavalcades européennes.

SOUVENIRS GLORIEUX

Emprisonnée dans une cage de verre, une aigle qui, malgré deux blessures en 1814 et 1815, semblait encore étinceler comme un 2 décembre à Austerlitz. Ce jour-là, dans cette contrée de Moravie, l’étoile chassa la brume par surprise, et ses éruptions de boulets rouges craquelèrent les sols gelés. On put fermer le clapet d’Alexandre et de François, et donner des nausées à George. Depuis cette victoire éclatante, jour anniversaire du sacre, Napoléon ne se sépara plus de son épée d’or et d’acier bleui.

Le 14 juillet 1815, sur l’île d’Aix, le lieutenant de vaisseau Besson reçut un magnifique fusil de chasse de la part du Patron. Ce marin lui avait proposé un projet d’évasion vers les Amériques – La témérité, c’est toujours si rare d’en voir. Après les adieux, ne croyez pas qu’il resta figé dans le marasme, de nouvelles aventures l’attendaient. Le souffle d’Éole le poussa en Orient où il servit Méhémet Ali en tant que major général de la marine d’Égypte. Ainsi, nul n’est prophète en son pays… à bon entendeur…

LE TEMPS DE LA SAGESSE

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Le temps du guerrier était fini, le bicorne noir avec cocarde tricolore et la tenue de colonel des chasseurs à cheval de la Garde impériale sont rangés soigneusement dans l’armoire. Comme sur l’île d’Elbe, Napoléon adopta les couleurs de pureté et d’innocence. Sur sa tête, un chapeau de paille avec bande noire non légendée, parfois le madras ou même le foulard blanc en baptiste… À propos de sa redingote blanche, les curateurs se sont bornés à afficher « robe de chambre » en description, une reprise de l’exposition au château de Malmaison en 2015, peut-être pensent-ils que l’exilé aux 30 années de services nationaux fut un addict des hôtels et des femmes…

TRANSMETTRE LA VÉRITÉ

Le vœu adressé aux fidèles soldats à Fontainebleau ne fut pas oublié : l’histoire de l’épopée est dictée, apôtres et héritiers la diffuseront au monde. Les bonimenteurs, ressortis du placard pour l’exposition, ont eu leur petit moment d’excitation en affirmant que Napoléon en a profité pour « réécrire » l’histoire – Doit-on préciser que ces gens-là n’ont jamais connu le baptême du feu, ni celui de Neptune…

À Longwood, les fins de journée ou soirées sont généralement de bons moments pour se retrouver entre amis. On se décontracte autour de bons verres de Brandy ou de Rum en provenance des Indes, tout en développant le sens de la précision sur des parties de billard. De la précision, il en faut également lorsqu’on expose ses pensées entre chaque tir, et souvent des débats passionnants naissent et vont durer toute une nuit… À ce jeu là, même à 3 heures du matin, l’Empereur était toujours redoutable. Quand certains commençaient à fermer les yeux, lui, débordait d’esprit et mettait les cartes géographiques sur le tapis vert pour expliquer les mouvements de la Grande Armée, une façon peu conformiste pour découvrir ceux qui avaient du courage et ceux qui en étaient dépourvus. Il arrive que des approximations, préjugés, ou ragots viennent ternir les discussions, c’est le divertissement habituel des oisifs de la basse-cour. Il faut bien que des hommes de terrain leur rappellent la vérité, l’Histoire réelle, et le vocabulaire militaire pour ne pas confondre combats et batailles, ainsi que retraites et replis…

RÊVES AMÉRINDIENS

Un regard sur le globe terrestre pointe en direction de l’Amérique du sud, et voici que l’imagination entre en effervescence. Ils étaient quelques-uns à tenter l’Empereur de traverser l’Atlantique, son frère Joseph et d’autres généraux avaient pu le faire sans souci… Au pertuis d’Antioche, trois semaines après l’abdication, il n’était pas question pour un homme d’honneur de fuir comme un lâche ou comme un voyou dans un tonneau. À Sainte-Hélène, le début de séjour laissa germer de nouveaux rêves. Nous n’étions pas si loin des patriotes de San Martin, de Bolivar, et d’O’Higgins Riquelme, il y avait même un écho de Récife qui retentissait :

Napoléon, chef de la République de Pernambuco, général suprême des Amériques.

Mais l’exilé ne rêvait plus de politique ni de faits d’armes, il rêvait d’expéditions scientifiques, et pourquoi pas revoir l’ami Bonpland, puis étudier la faune et la flore des forêts amazoniennes, de la cordillère des Andes…

COMME THÉMISTOCLE

Un matin, le réveil n’offrait plus la force, ni la joie de vivre, et le paysage ressemblait au Styx… L’Empereur légua l’héritage à ceux qui avaient élevé la France à l’apogée de sa gloire. En premier de liste, son fils… En deuxième de liste, l’Anglaise Lady Holland reçut le camée antique du pape Pie VI… Puis il meurt dans la religion apostolique et romaine… Le prosecteur, impatient d’utiliser ses outils tranchants, se mit à l’oeuvre… On ressortit le bicorne et la tenue de colonel… Certains, qui ne s’étaient pas servis de la corde pour se pendre, se bataillèrent pour une empreinte faciale… On logea le corps dans un cercueil hermétique de fer blanc, indispensable pour un transport maritime, conforme à la règle sanitaire internationale … Ce qui ne dérangea nullement les Tories, pour une fois…

« Grâce au poison puissant que portait cet anneau, ne craignez plus désormais pour moi, pour la patrie : Amis, d’un suc mortel, la coupe était remplie…

De mon trépas, ne me faites point un crime. Ma vertu l’exigeait, les Dieux m’en sont témoins ; je meurs pour ne pas vivre indigne de vos soins. Un roi si généreux, qu’eût-il fait d’un perfide ?

Souvenez-vous seulement que si l’honneur vous guide, vous ne pouvez plus porter la guerre en mon pays : Ma mort brise en votre main la foudre qu’elle a pris…

Je vivais pour vous seul, et meurs encore pour vous. »

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