Triomphe posthume

Cela fait plusieurs fois qu’il m’est donné de lire dans la « grande » presse, entre autres dans le Monde.fr, un commentaire que je trouve particulièrement et profondément malhonnête – ce qui, s’agissant de Napoléon, ne saurait surprendre. L’essence de ce commentaire ? « La défaite de Waterloo a marqué le début d’une ère de paix en Europe. »

Un minimum (pas davantage) de réflexion sans préjugé eût permis à ces analystes de livrer la seule conclusion qui se puisse tirer de ce constat : pour quelle(s) raison(s) Autrichiens, Prussiens, Russes, et autres Suédois de l’ami Bernadotte – je détesterais descendre du félon qui, à Leipzig en 1813, a fait tirer sur ses (ex-) compatriotes… – eussent-ils continué de faire la guerre à la France ?

Napoléon doit être le seul responsable des guerres (napoléoniennes, n’oublions jamais !) et des victimes

En effet, vilainement achetés à prix d’or par les Anglais, venus in fine leur donner un coup de main pour la mise à mort le 18 juin 1815 – jusqu’alors, ils ne s’étaient pas fatigués – n’avaient-ils pas abattu l’homme qui gênait les monarchies européennes de « droit divin », et le commerce planétaire des négociants de Londres ?

C’est ce que Norvins, dans son Histoire de Napoléon, exprime sans fioritures en ces termes : « L’Angleterre entendait la paix comme la liberté des mers, en exerçant un droit de visite sur les Cabinets comme sur les vaisseaux. Pour parvenir à ce but, il fallait tuer la France et Napoléon. »

Alors, il n’est nul besoin d’avoir l’esprit tordu pour saisir ce que l’insinuation, transparente, a de vicieux : « l’Ogre » corse doit donc bien être tenu pour le seul responsable des années tourmentées du Premier Empire, des guerres (napoléoniennes, n’oublions jamais !) et des victimes qui en résultèrent.

Tel était sans doute le message subtil qu’il convenait de faire passer et d’inscrire dans les mémoires du plus grand nombre, car je l’ai vu reproduit dans plusieurs organes de presse. Comme s’ils relayaient une source unique « d’information ». Ou d’inspiration.

Le 200ème anniversaire de sa défaite célébré – c’est bien le mot – en présence, entre autres, de l’héritier du trône d’Angleterre !

Simplement, je pense, parce que rien ne s’est déroulé comme prévu lors de ces commémorations. « On » – et il recouvre beaucoup de monde, ce pronom personnel indéfini – s’attendait à ce que Napoléon fût achevé une fois encore. Et pour toutes.

Vous pensez !

Le 200ème anniversaire de sa défaite célébré – c’est bien le mot – en présence, entre autres, de l’héritier du trône d’Angleterre ! Un symbole qui n’a pas de prix.

Ces festivités, que, personnellement, je trouve indécentes sur un lieu de courage, de souffrance et de mort, avaient bel et bien été organisées pour montrer et démontrer au monde entier que, réunis, les bons souverains avaient honoré (?) le contrat en faisant finalement rendre gorge à l’horrible dictateur qui avait mis la France en coupe réglée pendant, disons, quinze ans, et l’Europe à feu et à sang. Et au « boucher », selon la répugnante formule d’un chroniqueur de la chaîne d’information israélienne d’expression française, Guysen International News, avec lequel j’avais eu une vive empoignade par site Internet interposé.

Accouru en foule, le grand public, lui, ne voyait, et n’a vu, qu’un grand spectacle dans l’esprit de ceux que propose le Puy du Fou, en Vendée. C’est ce que résume dans une lettre qu’il m’a adressée un lecteur de mon livre sur la bataille, lui aussi témoin des reconstitutions : « La plupart des spectateurs présents étaient très loin du vrai drame vécu le 18 juin 1815 par tant d’hommes sacrifiés des deux côtés. »

« On » escomptait que ces journées de juin 2015 verraient l’enterrement historique définitif de Napoléon

C’était donc a priori tâche facile de faire gober à tous ces esprits non pollués le message sur l’instauration de la paix évoqué au début de ce texte.

« On » escomptait donc fermement que ces journées de juin 2015 verraient – et, mieux encore, provoqueraient – l’enterrement historique définitif de Napoléon.

Mais, décidément, avec ce diable d’homme, rien ne se passe jamais selon les prévisions, ce qui conforte cette pensée inénarrable livrée lors de l’émission chef-d’œuvre de France2, « Comment devient-on Napoléon ? » par notre historien napoléonien de référence : « Surprise et propagande, voilà le génie de Napoléon. »

Hélas pour eux, l’Empereur brilla seul sur cette terre redevenue amicale et paisible, écrasant sur les affiches les représentations de ses adversaires dont il s’en fallut d’un rien qu’ils fussent laminés.

Un rien ?

Un caprice du ciel, dénoncé par le grand Victor Hugo dans ces « Misérables » qu’on ne lit ou relit jamais sans émotion : « S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde. »

« Le véritable héros n’est pas celui qui ne tombe jamais, mais celui qui se relève toujours. »

Nous connaissons tous peu ou prou cette phrase dont je donne l’esprit, sinon la lettre : « Le véritable héros n’est pas celui qui ne tombe jamais, mais celui qui se relève toujours. »

Le 18 juin 1815, Napoléon est tombé à Waterloo.

Le 18 juin 2015, il s’est relevé.

Et pour toujours, parce que, cette fois, sur ce sol qui lui fut fatal, il a remporté la dernière victoire. La plus grande. Celle de la postérité. Et personne, jamais, n’y pourra rien changer.


Image à la une : affiche officielle du bicentenaire de la bataille de Waterloo