Né à Versailles le 14 novembre 1783, Gaspard Gourgaud fut un général et baron du Premier Empire, formé à l’école polytechnique et à l’école d’artillerie. Il devint proche de Napoléon en tant qu’officier d’ordonnance. A Brienne, le 29 janvier 1814, il sauve la vie de l’Empereur en tuant d’un coup de pistolet un Cosaque s’appretant à le transpercer de sa lance. Après 17 ans de service, 13 campagnes d’Austerlitz à Waterloo, et 3 blessures, il accompagna Napoléon dans sa déportation à Sainte-Hélène. Il meurt le 28 juillet 1852.
J’apprécie particulièrement ses réactions écrites ou « examens critiques » à l’ouvrage de M. le comte Ph. de Ségur et à la lettre de Sir Walter Scott. L’après 1815 ou la chute de Napoléon fait apparaître dans la bibliographie de nombreuses assertions, de la mauvaise foi et des injures touchant l’honneur de la France et des frères d’armes. Le général Gourgaud sortit de son silence et répondit avec sa fibre militaire à tous ces détracteurs. Incarnant le réel, il dégomme magistralement l’imaginaire et les commérages des salons parisiens et londoniens. Pour cela, il est l’un des piliers que le Carré Impérial se devait de prendre pour exemple.
Aussi, je souhaitais vous faire partager son introduction et sa volonté d’apporter de la justesse sur la tragique campagne de 1815 :
« … Depuis mon retour en Europe, j’ai lu beaucoup d’écrits sur le même sujet. La plupart des auteurs m’ont paru n’avoir été guidés que par la passion ou la haine ; d’autres ont été aveuglés par un excessif amour-propre national : bien peu ont cherché à donner une idée juste des événements.
L’erreur, à force d’être répétée, finit souvent par être prise pour la réalité : j’ai pensé que, pouvant la détruire, un silence plus prolongé de ma part serait blâmable. Cette raison seule a pu vaincre ma répugnance à m’exposer à la critique littéraire.
Militaire, je ne parle des événements politiques, que pour expliquer comment une seule bataille a suffi, pour soumettre la nation française, gouvernée par le premier capitaine des temps modernes. Ce n’est pas à moi d’essayer de traiter cette grande question : la bataille de Waterloo a-t-elle affermi ou ébranlé tous les trônes ; a-t-elle assuré la tranquillité de l’Europe, ou en a-t-elle sapé toutes les bases ? L’avenir y répondra.
Le public trouvera un récit simple, mais fidèle ; les militaires, les renseignements indispensables pour apprécier les fautes qui ont été commises et les talents qui ont été déployés ; les Français, une nouvelle preuve que, malgré leurs malheurs, leur réputation guerrière n’a pas été ternie dans les champs de Waterloo.
Peut-être les ministres des puissances ennemies de la France frémiront-ils en voyant le danger qu’ils ont couru ; et combien leurs plans, leurs projets ont été près d’échouer. Tout a dépendu du sort d’une bataille ; et quel général peut-être sûr du succès ? César, après vingt années de victoires, est, à Munda comme à son premier combat, forcé de courir toutes les chances de la fortune.
Le hasard exerce bien moins d’influence sur les opérations qui précèdent et conduisent à une bataille ; c’est par elles qu’un général établit toute sa supériorité. Aussi, dans cette funeste campagne, voit-on Napoléon, quoique avec une armée d’une infériorité effrayante, rencontrer ses ennemis presque à forces égales, sur tous les champs de bataille. Son habileté seule rétablit partout l’équilibre : l’ennemi surpris dans ses cantonnements, avec ses troupes disséminées à vingt lieues à la ronde, est forcé de se battre isolément, et réduit enfin à recevoir le dernier combat dans une position telle, que s’il est battu il est perdu sans ressources. La grande lutte n’est plus qu’une bataille ordinaire : c’est là que la question doit se décider.
Toutes les probabilités de la victoire sont pour les Français. Tout est bien combiné, tout paraît prévu ; mais que peut le plus grand génie contre le destin ? Napoléon est vaincu ! …
Triste exemple des vicissitudes humaines ! Autant, dans d’autres temps, la fortune s’était plu à le favoriser, autant à présent elle semble prendre plaisir à l’accabler. Trahi par les hommes sur lesquels il était le plus en droit de compter, abandonné par ceux qu’il a comblés de bienfaits, il quitte la France. Il croit que son ennemi le plus grand doit être le plus généreux.
Ah ! Napoléon, que n’as-tu trouvé la mort à Waterloo ! »
« Tout ce que peut faire un grand homme d’État et un grand capitaine, Annibal le fit pour sauver sa patrie. N’ayant pu porter Scipion à la paix, il donna une bataille, où la fortune sembla prendre plaisir à confondre son habileté, son expérience et son bon sens. Carthage reçut la paix, non d’un ennemi, mais d’un maître. » Montesquieu